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— Je pris moi-même ce soin…

Wilmot n’avait plus rien à savoir. Il se leva et tendit la main à mistress Prendergast, qui cette fois répondit à cette avance avec une sorte de cordialité. — Je vous rends grâce, lui dit-il, de m’avoir patiemment écouté. Si cela m’était possible, je ne vous laisserais pas ignorer le motif qui m’a dicté tant de questions. Vous avez droit à toute ma reconnaissance pour les soins que vous avez prodigués à ma femme, et je sollicite le droit de me compter au nombre de vos amis.

Une fois sorti de chez mistress Prendergast, et tout absorbé qu’il fût dans les plus pénibles réflexions, le jeune savant se surprit et flagrant délit d’analyse. Le suicide dont les moindres circonstances venaient de lui être révélées lui apparut comme un acte de monomanie parfaitement caractérisée. Ce fut pour lui au premier abord, en même temps qu’un trait de lumière, un soulagement immense ; mais sa conscience, bientôt réveillée, lui posa des questions embarrassantes, auxquelles son cœur, ouvert trop tard à certaines impressions de tendresse, répondit par de terribles reproches. Ces impressions nouvelles, cette susceptibilité jusqu’alors endormie, n’était-ce pas une autre femme qui les lui avait fait connaître ? et Mabel s’était-elle absolument trompée dans ses amers soupçons ? Il y avait là tout un ordre de pensées auxquelles il ne voulait pas s’arrêter, tant elles lui étaient pénibles, et qu’il repoussait de son mieux. En somme, qu’avait-il à décider, quel parti prendre ? Faire constater la terrible vérité au moyen d’une exhumation tardive,… n’était-ce pas là une horrible extrémité ? n’était-ce pas d’ailleurs jeter une flétrissure inutile sur cette mémoire importune mais sacrée ? En avait-il le droit, lui qui, sans le vouloir il est vrai, mais par des actes dont il était responsable, pouvait se regarder comme la cause première de cette fin violente ? Son cœur se révoltait à la seule idée de ces misérables restes que viendrait froidement scruter l’œil impassible des agens de la loi. Donc il fallait se taire ; mais que devenir ensuite avec un tel secret dans le cœur ? Sa première idée fut de quitter l’Angleterre. Il lui semblait impossible de revoir Madeleine Kilsyth ; au moins ne pouvait-il songer à la revoir habituellement, sur le pied d’une familiarité toute simple. Ce trésor d’innocence et de beauté lui apparaissait maintenant comme interdit à ses espérances les plus vagues. Il n’en était peut-être pas ainsi ayant la fatale découverte, mais désormais toute secrète aspiration vers cet ange lui semblait un sacrilège.

Quand il laissa percer devant son vieil ami et parrain, M. Foljambe, ses velléités d’exil, l’opulent banquier de Portland-Place le crut un moment frappé de folie. Quitter Londres au moment où les