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chemins de fer français, dont le but est de distribuer des secours soit en nature, soit en argent aux sociétaires malades et à leurs femmes, de constituer même des pensions de retraite, enfin d’assurer au décès d’un associé le paiement d’une somme de 250 francs à sa famille. La société admet dans son sein des femmes et se propose d’y recevoir des enfans. Chacun de ses membres est tenu à une cotisation mensuelle de 2 francs et participe à la nomination du conseil d’administration, dont le président est nommé par le chef de l’état. Les principales dispositions des statuts témoignent d’un esprit d’initiative et de libéralisme. Quelques compagnies ont cependant paru craindre que cette société n’obéît à un sentiment déguisé d’hostilité contre elles, et qu’elle ne se prêtât volontiers, le cas échéant, aux coalitions, aux grèves, aux mesures comminatoires. Les membres de cette société ont souvent été traités par la compagnie à laquelle ils appartenaient avec une sévérité qui ne permet pas de douter de cette méfiance.

Il faut bien le reconnaître, le caractère distinctif de toutes les mesures de bienfaisance dues aux compagnies est celui d’une tutelle exercée de haut, d’une autorité qui prétend agir seule et se charger, la compagnie d’Orléans l’a dit, de « penser » pour ses inférieurs qui négligent leurs intérêts. Non-seulement toutes ces institutions ne procèdent pas de l’initiative individuelle, mais le plus souvent elles l’étouffent. Obligation de retenue de traitement, tarif uniforme de retraites selon le grade, conditions identiques d’âge ou de durée de service, c’est un cadre général où chacun est casé, étiqueté, coté en dehors de ses efforts particuliers, de son mérite spécial, de sa prévoyance plus ou moins éveillée. C’est le régiment et la vétérance. Un tel système paraît mauvais en soi, mauvais pour les compagnies, mauvais pour les agens. On peut dire qu’il rend toutes les administrations un, peu moins maîtresses de leur personnel. Elles reculeraient en effet, on doit le supposer, devant le renvoi d’agens qui auraient démérité après de longues années de service et qu’on hésiterait à frustrer de réserves accumulées. D’autre part, les agens, amenés à compter sur une ressource qui ne peut ni diminuer ni s’accroître, proportionnent leurs efforts au but à atteindre, et ne montrent de zèle que ce qu’il en faut pour ne pas perdre leurs droits à la retraite. On se plaint depuis longtemps de l’inactivité, de la tiédeur, en un mot de la médiocrité des employés de l’état ; les grandes compagnies de chemins de fer n’ont pas une meilleure fortune. A tout prendre, nul sujet ne donne lieu à des réflexions plus tristes que le sort de tant d’hommes pourvus d’une dose d’instruction respectable et condamnés à passer toute leur vie dans un labeur ingrat qui ne leur rapporté que de maigres