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s’élever plus haut, dépasser d’une occupation subalterne à une plus importante, de changer à la première occasion, au gré de sa fantaisie ou de ses prétentions, l’œuvre d’aujourd’hui pour une œuvre plus rémunératrice. De là ces ascensions qui font d’un charpentier le président des États-Unis et d’un conducteur de travaux un général d’armée. Que les immenses ressources naturelles mises à la disposition de l’homme excitent ce désir d’ascension illimitée, c’est un point hors de doute ; mais le génie de la race l’allume chez tous les individus. Nos tendances ne sont pas les mêmes, et c’est un autre idéal que nous avons en vue. L’ouvrier aux États-Unis se sent l’égal du patron en tant qu’homme capable à un jour donné de jouer le même rôle, et il s’y prépare ; en France, plus résigné à sa condition, il cherche seulement à en relever le mérite en affirmant que la main qui exécute remplit une fonction égale à celle de la tête qui dirige. Après l’ouvrier, l’employé, à son tour, revendique pour sa collaboration autant de dignité que le chef pour sa direction. La différence des caractères a donc motivé la différence des mesures, et ce procédé sommaire qui consiste à ne rien faire dans l’intérêt des hommes qui ont aidé longtemps à la prospérité des entreprises communes ne pouvait avoir cours dans notre pays, où, lourde considérer l’admission dans ces entreprises comme un fait passager, un en-cas, un stage pour d’autres travaux, on la regarde comme la carrière définitive et le but suprême de l’existence.

Les six grandes compagnies françaises de chemins de fer ont procédé à leur mission de patronage par des moyens assez semblables au fond, quoique présentant des différences qu’il est bon de signaler. C’est en général par une caisse de retraite pour la vieillesse et par des associations de secours en cas de maladie qu’elles ont voulu faciliter les progrès de la prévoyance parmi leurs ouvriers et employés. Pour les caisses de retraite, elles se sont mises en rapport avec celle de l’état, faisant garantir par elle les pensions dont elles lui versaient les primes. Pour les sociétés de secours, elles ont adopté le type de toutes les sociétés de secours mutuels ; mais elles ont presque toutes rendu obligatoire la participation des employés et des ouvriers à ces deux modes de prévoyance, et elles en ont gardé la direction. C’est là tout d’abord un fait à noter.

La compagnie du Nord a fondé en 1855 une caisse de retraite pour le personnel attaché aux lignes en exploitation. Le règlement reproduit les dispositions adoptées pour la caisse analogue fondée par l’état, et celle de la compagnie se rattache exclusivement à cette dernière. Elle offre le moyen d’obtenir, par des versemens mensuels de 5 francs au minimum, des rentes viagères inscrites sur le grand-livre de la dette publique. On entre en jouissance de ces