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chaque jour beaucoup de cœurs résolus. Le plus grand nombre toutefois obéit encore aux anciens erremens. Le type idéal qui attire les regards, c’est celui de l’employé, du fonctionnaire, du retraité ; dans le moyen le plus efficace pour réaliser les espérances, dans l’association, c’est l’enrégimentation qui séduit tout d’abord ces socialistes attardés ; ils se résignent à une discipline aveugle pour exercer sur les minorités une domination tyrannique. Cette absence de libéralisme ou plutôt ces aspirations libérales à contre-sens, voilà le mal contre lequel il importe d’agir avec vigueur, et qu’il faut poursuivre dans chacun des faits industriels qui se produisent chaque jour. Cette manière d’envisager l’association et le droit des majorités n’est pas seulement contraire à la justice et à la vérité, elle deviendrait bientôt fatale au développement de la production et à la répartition raisonnable des bénéfices du travail.

A propos des assurances sur la vie[1], nous avons eu occasion d’établir la supériorité, au point de vue du mobile moral et du résultat financier, de l’assurance en cas de mort sur la constitution de rentes viagères. La première opération procède d’un sentiment désintéressé, généreux, de l’amour que l’homme porte à sa femme et à ses enfans, et aboutit à la création d’un capital nouveau, c’est-à-dire répond aux intérêts sociaux les plus élevés. Le calcul qui consiste à s’imposer un sacrifice présent pour s’assurer une ressource qui disparaît à la mort du contractant est habile peut-être ; on ne contestera pas du moins qu’il ne contienne à la fois les vices et les mérites des actes inspirés par le seul intérêt. En Angleterre et aux États-Unis, faisions-nous remarquer, les assurances en cas de mort sont particulièrement recherchées ; en France, ce n’est que depuis quelques années seulement qu’on y revient, de préférence à la constitution de rentes viagères. Le gouvernement français, au contraire du gouvernement de la Grande-Bretagne, a favorisé exclusivement, ces dernières. C’est moins à un mauvais encouragement du sentiment personnel qu’à la manie dont nous parlions de tout rapporter à l’état qu’il faut imputer la faveur accordée à un système plutôt qu’à l’autre par ceux qui l’encouragent comme par ceux qui le pratiquent. Depuis que la question de mettre de côté une part du gain présent pour assurer l’avenir a été portée à l’ordre du jour, elle a été abordée avec nos idées préconçues de hiérarchie et de prépotence administrative. Rien ne parut plus conforme aux habitudes régulières, à l’ordre établi, que de transformer dans sa vieillesse l’ouvrier lui-même en une sorte d’employé, de fonctionnaire retraité, de rentier viager, certain de vivre dans les limites

  1. Voyez la Revue du 15 février 1867.