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dont Sheffield a été le théâtre, on peut encore alléguer l’exemple de l’Angleterre à l’appui des opinions rassurantes. Toutes les associations anglaises ne comprennent pas leur rôle à la façon de celle de Sheffield, et les unions’ trades elles-mêmes, bien que, comptant 800,000 adhérens, ne renferment pas tous les ouvriers anglais. Il s’en faut que tous professent les sentimens mis au jour par l’enquête. On peut citer en regard les résolutions prises au commencement de 1867 par les mineurs du Lancashire et l’association des millmen, qui a décrété de son propre mouvement la diminution d’un dixième dans le salaire, afin de permettre à l’industrie locale de soutenir la concurrence contre l’étranger. C’était proclamer la solidarité entre les intérêts des patrons et ceux des ouvriers. Un moyen d’entente que l’on a proposé serait la propagation des chambres syndicales, comme il en existe déjà dans beaucoup de professions. Ces chambres syndicales rempliraient l’office de véritables tribunaux de conciliation propres à rendre la paix mieux assurée ou la guerre moins longue. Le premier remède, une réconciliation in extremis entre patrons et ouvriers, semble de la catégorie de ceux dont l’on dit qu’ils naissent de l’excès du mal, et qui, s’ils ne tuent pas le malade, l’affaiblissent au moins d’une manière cruelle. Quant au second, l’extension donnée à l’arbitrage des chambres syndicales, c’est un palliatif dont l’efficacité dépend singulièrement de l’esprit avec lequel il serait appliqué. Il y a chambre syndicale et chambre syndicale. Si ces tribunaux de conciliation nommés avec l’adhésion des ouvriers devaient ressembler, par exemple, au comité directeur de la société de solidarité et de crédit mutuel créée par nos ouvriers tailleurs dans la dernière grève et que les tribunaux ont dissoute, il est fort douteux qu’ils pussent devenir de bien efficaces moyens de rapprochement. Au fond, ce ne sont pas tant les combinaisons qui manquent à l’ouvrier pour se garantir contre l’incertitude du présent et de l’avenir, on peut même ajouter, au risque de passer pour trop optimiste, que ce n’est pas non plus exclusivement une haine jalouse et aveugle contre les profits du maître qui le met en défiance contre les efforts impuissans du patronage pour améliorer sa condition. L’ouvrier français a gardé le vieux préjugé de la prééminence de l’état, la doctrine que de l’autorité gouvernementale procède toute noblesse, toute dignité. On l’a bien vu en 1848, alors que le socialisme a pu faire officiellement tant d’essais malencontreux. Pour être battu en brèche, ce préjugé n’a pas cessé de diriger à leur insu bien des esprits crédules. Sans doute les plus clairvoyans sont revenus au principe fécond de la liberté, le mouvement coopératif en est la preuve ; sans doute le sentiment de l’initiative individuelle gagne