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ami exilé comme lui au fond des bois, c’est le rouge-gorge, son compagnon de misère, qui vient lui apporter des nouvelles du printemps désiré : patience, frère, patience, la saison approche ! Quand vous accumuleriez les détails, toutes vos descriptions m’en diraient moins sur la vie du pauvre coupeur de bois que ce simple rapprochement de deux existences unies par la communauté de la souffrance et de1 l’espoir. Cette esquisse, tracée en deux coups de crayon, est d’un poète ; le tableau de M. Theuriet est d’un excellent peintre de nature morte.

Le poème de Sylvine, d’une inspiration toute moderne, est la glorification du travail. Un gentilhomme de vieille race, Lazare Engilbert de Paulmy, aime la fille d’un tisserand et se fait bûcheron pour l’épouser. La description étale bien encore un peu trop sa broderie sur la trame de l’action, il y a bien encore un peu trop de lianes dans les sentiers, de pousses folles dans les haies. Si j’étais Lazare le bûcheron, je donnerais quelques bons coups de hache à travers toute cette végétation, je ferais un large abatis de détails luxurians et d’épithètes parasites : l’air n’en circulerait que mieux dans le récit ; mais ce que je n’aurais pas le courage de retrancher, c’est un hymne aux bois, plein d’un vrai souffle lyrique, qui commence par ce vers :

La forêt qui revêt les monts de sa ceinture.

Maintenant, pour résumer nos conseils sous une forme définitive, nous dirons à tous ces jeunes poètes dont nous avons cité les noms ou analysé les œuvres : Faites des vers, modelez la strophe, sculptez l’alexandrin ; cet exercice est excellent, il vous enseignera les secrets de la langue, les tours variés, les riches expressions. Qui sait s’il ne vous apprendra pas à écrire en prose ? Mais rappelez-vous que, pour chanter, il faut avoir Vécu, c’est-à-dire aimé, lutté, souffert, connu les hommes et les choses. La poésie n’est forte que quand elle est trempée aux larmes venues du cœur. Vous prenez pour de l’inspiration les premières bouffées de sentiment qui vous montent au cerveau ; cette tiédeur inconnue vous exalte, cette fermentation de la puberté naissante Vous enivre ? vous modulez vos vagues impressions sur le rhythme savant des maîtres : vous croyez être des voix, vous n’êtes que des échos.


D. ORDINAIRE.


Les Cahiers de 1789 dans la Sénéchaussée de Castres en Languedoc, par M. le marquis de Lajonquière, 1 vol. in-8o ; Michel Lévy, 1867.

Ce qui a fait la vraie force, la vraie et irrésistible puissance de la révolution française, c’est qu’elle est sortie réellement des entrailles du pays. Des idées abstraites sont venues s’y mêler ; des fureurs patriotiques excitées par l’es menaces extérieures en ont fait le torrent de feu qui s’est déchaîné sur l’Europe. Dans le principe ce n’était ni une utopie sortie de la tête des philosophes, ni une explosion de passions guerrières ;