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femmes, — revient malade au village, y écrit son journal et meurt de désespoir. La fable, comme on voit, est assez puérile, et le héros ne brille pas par le bon sens ; mais on trouve dans le récit des tableaux réussis des quatre saisons et quelques descriptions bien détaillées. La marche d’un convoi de chemin de fer pendant la nuit, par exemple, est un morceau qui aurait fait envie à Delille. Il y a du Delille en effet dans les poésies de M. Robinot, et parfois comme mi écho lointain de Lamartine.

Voici cependant deux poètes. Avec MM. Paul Gaudin et André Theuriet, l’horizon s’éclaircit, le voyageur respire. Sous le titre un peu prétentieux de Scherzo, le premier a réuni des idylles imitées de l’antique, un petit poème plein de jolis détails, des traductions d’Horace. Ses idylles sont d’un tour heureux ; mais depuis André Chénier le genre a bien vieilli. Et que va-t-il nous traduire Horace ! On ne traduit pas les anciens, on les imite. Voyez La Fontaine, il prend à Ovide la légende de Philémon et Baucis ; mais il ne la traduit pas, il la transforme. Au recueil des poésies anacréontiques il dérobe une petite pièce, un diamant, l’Amour mouillé. Tout le miel de l’abeille attique est dans ce morceau. L’idée de M. Gaudin est d’autant moins naturelle qu’il est tout à fait capable, ce semble, de parler en son nom sans emprunter leurs pensées aux autres. Il possède de plus tout ce qu’il faut pour exprimer sous une forme très poétique ce qu’il voudra penser : il a le sens de l’harmonie et une certaine science du rhythme, deux qualités qui se perdent, et qu’il a gagnées à l’étude des anciens et à la lecture de nos vieux poètes. Que M. Gandin suive donc l’exemple du maître que nous lui avons cité, qu’il sorte des sentiers battus, et il peut, il doit réussir.

Le nom de M. Theuriet n’est pas celui d’un inconnu pour les lecteurs de la Revue, et ce n’est pas sans plaisir que j’ai revu le Chemin des bois. Une pièce entre autres, le Retour au bois, m’a charmé. Il y a là du mouvement, de la passion et je ne sais quel amour sauvage de la nature. Les strophes courent agiles et lancées d’un seul jet, la pièce se retient à la lecture. La Veillée est un petit drame en soixante vers, bien conçu et bien composé ; nulle part peut-être l’auteur n’a mieux révélé ce qu’il est capable de faire un jour. Toute cette poésie est saine, elle a l’embonpoint des filles des champs et la sève généreuse des pousses d’avril. Le lui dirai-je cependant ? il se mêle à mon plaisir une inquiétude. Je crains que M. Theuriet, ne soit de l’école de ceux qui confondent la poésie et la peinture au point d’écrire avec un pinceau. Il me semble qu’il sacrifie trop au détail, à la nuance, au plaisir d’étaler ses couleurs. Comme ce défaut est celui de notre temps, ce serait être original que de n’y pas tomber. Je trouve dans ses plus jolies pièces tel vers, telle strophe qui doivent faire la joie des coloristes, et que je supprimerais impitoyablement. Prenons un exemple :