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imite un peu tout le monde ; mais l’élégie sentimentale domine, ainsi que la petite romance pleine d’azur et de papillons bleus. Quand viendront les vacances, la grande sœur sortie du couvent chantera sur le piano les couplets du grand frère :

Si Dieu m’avait fait naître
Hirondelle des toits ;

ou bien encore :

Je vous dirais, si vous vouliez m’entendre,
Mais à quoi bon ? Vous ne m’entendez plus,

et les parens s’attendriront, et le jeune barde rougira, et ce sera une scène touchante.

M. F. Coppée cultive un genre moins innocent. Il a beaucoup souffert, et souffert par la femme ; c’est pourquoi son cœur est meurtri et son front très pâle. Il compare les maux qu’il endure aux tourmens « des Saphos et des Phèdres. » (Ah ! M. Coppée, quels crimes avez-vous donc commis ?) Pour s’étourdir, il a fait la débauche, et il l’a faite en conscience, malgré lui, comme une hideuse besogne, presque comme un devoir. Maintenant c’est fait de lui, le remords le travaille, et le doute, l’affreux doute dévaste sa pauvre âme endolorie. J’engage l’auteur à se rassurer. Son cas est grave, je l’avoue, mais non désespéré. Tout n’est pas perdu, il y a encore du remède. L’esprit est gâté, il est vrai, par des lectures mal faites ; mais le cœur est resté bon. J’ai trouvé dans le Reliquaire une jolie pièce, Sous les branches, qui m’a rempli d’une douce confiance. Il y a dans ce coin de paysage des teintes de mélancolie vraie. Évidemment M. Coppée est moins malade qu’il ne le pense, et de beaux jours luiront encore pour lui. Qu’il renonce seulement à l’imitation, qu’il rende à ses maîtres les plumes qu’il leur a dérobées, à Musset son doute et son désespoir, à d’autres leur réalisme cru, leur alexandrin heurté et la richesse extravagante de leurs rimes ; qu’il devienne lui-même, s’il peut, et il lui restera encore assez de qualités pour faire un livre raisonnable. C’est ce que je lui souhaite ; quant à son Reliquaire, je doute qu’il fasse jamais des miracles.

L’auteur de la Légende rustique, M. Robinot-Bertrand, est aussi un poète triste ; mais, sa mélancolie douce et inoffensive ne va pas jusqu’à l’hypocondrie. Il aime le soleil, les champs, les oiseaux ; il ne doute pas, il ne déteste pas les femmes, Son poème est une élégie encadrée dans une idylle. — Un jeune paysan qui a fait ses classes devient amoureux d’une riche et noble héritière. Pour la mériter, il court chercher à Paris la gloire et la fortune et, pendant qu’il travaille, celle qu’il aime se marie. Accablé par ce dénoûment, qu’il aurait bien dû prévoir, il se jette dans la débauche, le grand remède des poètes qui ont souffert par les