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A Paris déjà, quelques personnes à qui j’avais communiqué des fragmens des Mémoires du comte Miot et qui les trouvaient aussi intéressans que précieux pour l’histoire de l’époque mémorable qu’ils embrassent m’avaient encouragé à les livrer à la publicité. Je me déterminai donc à en faire une édition lorsque la tourmente des années 1848 et 1849 eut commencé à se calmer. J’en ai retranché tout ce qui pouvait ne pas offrir un intérêt historique, mais dans les trois volumes de cet ouvrage il n’y a pas un mot de mon crû. Les Mémoires du comte Miot devaient paraître en 1856, ils n’ont paru qu’en 1858 par suite de circonstances indépendantes de ma volonté. J’ai cru devoir entrer dans ces détails pour expliquer pourquoi le livre n’a vu le jour que dix-sept ans après la mort de l’auteur.

Par les insinuations très peu bienveillantes pour moi contenues dans la lettre du prince Napoléon et par le dédain avec lequel il se plaît à y parler de ma personne, je vois avec regret que je ne puis me vanter de jouir de ses bonnes grâces. Son altesse impériale me reproche d’avoir combattu contre les Français, et il est vrai que dans les campagnes de 1814 et 1815 j’ai fait partie, avec les troupes wurtembergeoises, des armées alliées qui ont pénétré en France ; mais il est vrai aussi que dans les guerres précédentes j’ai combattu à côté des Français, mon souverain étant alors l’allié de l’empereur Napoléon. C’est la destinée du soldat, le prince le sait sans doute, de se battre contre celui qu’on lui désigne comme ennemi.

Le prince Napoléon prétend que j’aime peu la France ; cette affirmation est toute gratuite. J’ai passé seize des meilleures années de ma vie à Paris, j’y ai trouvé un accueil bienveillant et plus d’un ami. Ma femme était Française, le fils que j’eus le malheur de perdre a fait en France ses études comme ingénieur, il y a été employé comme tel et a épousé une Française, le mari de la fille qui me reste et mes petits-fils sont Français. Les liens qui m’attachent à la France sont donc nombreux, et j’ai bien des motifs de souhaiter toute sorte de prospérités à ses habitans.

Le prince Napoléon est dans l’erreur lorsqu’il dit que le prince Pierre Bonaparte a obtenu de moi une rectification concernant son père, le prince Lucien. Comme simple éditeur, je ne pouvais rien rectifier dans un ouvrage dont je ne suis pas l’auteur ; mais je me suis engagé, si jamais il y avait lieu de publier une seconde édition des Mémoires du comte Miot, à y supprimer les passages qui étaient de nature à blesser le sentiment filial du prince Pierre.

Quant à la supposition du prince Napoléon, qui avance que je me suis inspiré des ennemis de l’empire, je ne puis que répéter ce que j’ai déclaré dans une autre occasion : mes opinions sont parfaitement indépendantes, elles ne sont inspirées par personne ni par aucun parti, et ne reposent que sur mes sentimens et mes convictions individuels.