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combinaisons les plus imprévues, la Genève de nos jours a vu l’alliance du parti radical et de l’intérêt catholique. Garibaldi et les matérialistes ont eu bonne grâce à venir troubler par leurs prédications à la fois mystiques et impies une population tout imprégnée, d’un sentiment que l’on pourrait appeler l’amour-propre religieux, et où les prétentions religieuses sont le principal ressort d’un gouvernement radical et démocratique ! La bévue ne pouvait être plus énorme, et les Genevois l’ont fait sentir sans ménagement à leurs hôtes infortunés.

Parmi les discours qui ont surnagé dans le naufrage du congrès de Genève, celui d’un Allemand, M. Simon, de Trêves, a été le plus remarqué. C’est que M. Simon est allé droit au fait, Il a émis avec énergie, l’idée qui est aujourd’hui dans toutes les têtes sages d’Europe, et que pour notre compte nous ne nous sommes point fait faute d’exprimer. La cause constante de la guerre, la cause de l’insécurité dans laquelle les peuples européens sont condamnés à vivre, c’est l’existence des gouvernemens personnels. Le péril des guerres d’ambition, de caprice et de surprise réside et dans la façon dont les gouvernemens personnels, ceux qui refusent aux peuples le partage du pouvoir, conçoivent leurs intérêts, et dans la manière dont ces gouvernemens dirigent leur politique extérieure. — Les gouvernemens personnels cherchent leur force dans les grandes armées permanentes et leur prestige dans l’ascendant de leur politique étrangère. La diplomatie et la guerre sont leur première et constante préoccupation. Croyant à l’efficacité des combinaisons d’alliance, ils sont sans cesse appliqués à des négociations secrètes, faisant éclater des événemens lorsqu’ils s’imaginent que leurs mesures sont bien prises, et que l’occasion est favorable. Ces gouvernemens, ne pouvant pas pénétrer leurs secrets, sont continuellement les uns pour les autres des objets de défiance ; cette défiance harcèle sans relâche leurs peuples inquiets des surprises que peut leur réserver la politique de tel souverain ou tel ministre prépotent. Un tel état de choses, qui abandonne à quelques hommes sur notre continent l’exercice discrétionnaire, et secret du droit de guerre et de paix, est incompatible avec la sécurité des peuples et la condition politique, et économique de leur existence. Quelques Anglais facilement effarouchés ont appelé leur dernier bill de réforme, a leap in the dark, un saut dans les ténèbres ; mais avec les libertés par lesquelles les Anglais exercent eux-mêmes leur gouvernement, il ne peut y avoir de chute dans l’obscur et dans l’inconnu. Quant à nous, infortunés continentaux, Français, Prussiens, Autrichiens, Italiens, Russes, nous passons la vie, depuis quinze ans, à faire des sauts dans les ténèbres. Cette danse macabre ne peut éternellement durer. Si la raison et la fermeté des intéressés ne suffisent point pour la faire cesser, il sera inévitablement mis fin au maléfice par la force des choses.

Les lois naturelles, reprennent toujours leur empire sur les efforts ca-