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système qui conduirait à des insurrections nouvelles, peut-être plus graves cette fois, et on ne peut le croire par deux raisons qui en valent bien d’autres. La première, c’est qu’une politique à outrance dénature entièrement la monarchie actuelle telle qu’elle est sortie de toute l’histoire contemporaine. Si l’absolutisme devait renaître en Espagne, ce ne serait pas la royauté d’Isabelle II qui en serait la personnification naturelle. Le sang versé pendant sept ans de guerre civile aurait été inutile. Par son origine, par toutes les circonstances dans lesquelles elle s’est affermie, par la force des choses, la monarchie actuelle n’est et ne peut-être que constitutionnelle. Ce n’est pas la liberté qui l’a mise en péril, c’est le tourbillon des passions et des ambitions, c’est cet acharnement à remettre sans cesse toutes les lois en doute. Le Portugal, auquel bien des Espagnols envient de s’unir, le Portugal a eu, lui aussi, ses agitations, et la dynastie de Bragance a eu ses momens d’impopularité. Depuis quand le Portugal est-il pacifié, et la dynastie a-t-elle retrouvé ce bon air de la popularité ? Depuis que la liberté la plus complète règne à Lisbonne. Une autre raison plus personnelle au général Narvaez et au parti modéré, c’est qu’après tout l’un et l’autre en seraient pour leurs frais de zèle auprès de l’absolutisme ; ils seraient bientôt suspects. Le général Narvaez a ses passions ; mais il tient, quoi qu’il fasse, par des fibres intimes à cette Espagne libérale pour laquelle il a combattu, et il ne peut pas ignorer qu’à ses côtés il a des concurrens qui se croient de plus grands sauveurs que lui, qui seraient tout prêts à le remplacer comme il a remplacé O’Donnell.

Le moment est donc venu pour lui de faire un choix ; il peut saisir cette occasion nouvelle de réduire à une impuissance définitive des partis vaincus, de rallier des forces découragées et attristées, en replaçant son pays dans une condition régulière, en brisant ce cercle fatal de révolutions et de réactions incessantes. C’est là sûrement le vrai et seul avenir de l’Espagne, et à défaut de celui-là ce serait peut-être bien le cas de se rappeler ce curieux et piquant propos échangé un jour, il y a vingt ans, dans un moment de crise, entre le général Narvaez lui-même et M. Bresson. « Ne soyez pas si inquiet ; disait Narvaez à l’ambassadeur de France, il y a pour l’Espagne une Providence à part, et nous nous en tirerons. — Je ne m’étonne pas, répliqua M. Bresson, que vous ayez une Providence pour vous seuls ; vous lui donnez assez à faire pour occuper tout son temps. » Et depuis que de travail l’Espagne n’a-t-elle pas donné à cette Providence particulière ! Il s’agit pour elle aujourd’hui de compter un peu sur elle-même et de s’aider de sa propre sagesse, de ses propres efforts, pour se faire la seule destinée enviable, celle d’une nation libre qui sait se gouverner et se modérer.


CHARLES DE MAZADE.