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visiblement la nature de cette coalition qui s’est ralliée autour de Prim. Les progressistes, se ressentent aujourd’hui de la situation qu’ils se sont faite et qu’ils ont faite à l’Espagne. En restant au-delà des Pyrénées, en continuant à se mêler au mouvement légal du pays, ils auraient pu assurément exercer une action utile et concourir à créer ce jeu régulier des partis qui est la condition naturelle et la force de la vie constitutionnelle. En rompant au contraire avec toute action légale, ils se sont placés dans le vide, ils se sont mis dans l’obligation de faire une révolution ; mais quelle révolution ? C’est justement leur faiblesse d’être par leurs idées assez peu révolutionnaires, et parmi toutes ces libertés que M. Llorente énumérait dans le sénat, il y en a beaucoup que les progressistes n’admettent pas. Que reste-t-il donc ? Une simple guerre à la dynastie par rancune par passion, pour faire quelque chose. Le parti démocratique lui-même n’était pas dans une situation moins fausse. Quel avenir peut avoir ce parti en Espagne ? Je ne sais. Il ne recule pas, lui, devant les plus vastes programmes libéraux ; il admet, tout, et, s’il a plus d’audace d’imagination que d’esprit pratique, il a du moins l’avantage des partis spéculatifs, celui de mettre les principes au-dessus des hommes. Que faisait-il cependant ? Il abaissait ces principes devant l’épée d’un homme dans lequel il n’a aucune confiance, qu’il considère comme un futur dictateur, de telle sorte que ce mouvement était le résultat d’un compromis obscur et incohérent entre toutes ces velléités agitatrices. Prim, après avoir refusé longtemps de supprimer le nom de la reine sur son drapeau, sous prétexte que l’armée ne le suivrait pas, a fini par l’effacer pour avoir le concours des démocrates. Les progressistes, qui ne voulaient pas du suffrage universel, s’y sont résignés pour une fois. Le parti démocratique a accepté Prim pour sortir de l’inaction, pour tenter l’aventure. Voilà tout ce qu’on avait à offrir à l’Espagne !

Et maintenant l’insurrection est vaincue. Ce qu’elle aurait pu produire, si elle avait réussi, n’est pas facile à prévoir ; sa défaite a cet avantage de créer encore une fois un de ces momens où les gouvernemens retrouvent la liberté de leur action. Que ressort-il de tous ces événemens, de toutes ces complications intimes et énervantes, de la situation tout entière de l’Espagne ? Un fait simple et lumineux devant lequel doivent s’arrêter des hommes après tout d’une claire et vive intelligence comme le général Narvaez, qui n’a point à subir les inspirations vulgaires des subalternes de son parti : c’est que la vraie politique de l’Espagne a son point central entre ces deux choses qui s’engendrent éternellement, la révolution et la réaction. La lutte a sans doute ses entraînemens et ses fascinations. On ne peut croire cependant que le gouvernement actuel ne profite de sa dernière victoire que pour s’affermir dans un