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disait le général O’Donnell, croit nécessaire de suspendre les garanties constitutionnelles, et vient en demander l’autorisation aux représentans du pays. Dans la conscience de tous est cette idée, qu’après ce qui vient d’arriver il est impossible de laisser la société sans défense. Je veux la liberté, je la veux aujourd’hui comme je la voulais hier, comme je l’ai toujours voulue depuis que je l’ai défendue sur les champs de bataille ; mais pour qu’il y ait la liberté, il faut qu’il y ait une société, et pour cela il faut mettre un terme à l’anarchie produite par les passions destructives qui malheureusement se sont emparées de nous… » Or ici justement s’élevait une question qui est toujours l’épreuve des gouvernemens tenant à leurs pieds une révolution vaincue : c’était cette terrible question du lendemain de la victoire, de la mesure de réaction que pouvait expliquer une crise violente, de la politique qu’il y avait à suivre, — -et cette question, elle agitait aussitôt les esprits, elle renaissait dans les chambres, elle rallumait contre le général O’Donnell des hostilités à peine assoupies ou voilées pendant quelques heures de combat.

Le général O’Donnell avait certes ou paraissait avoir un grand ascendant, une position affermie par sa victoire de la veille. L’opposition qu’il rencontrait dans les chambres était plus fatigante que dangereuse. Il était considéré comme l’homme nécessaire. On le lui disait plus que jamais, il le croyait volontiers lui-même, et en faisant sentir cet ascendant pour obtenir les pouvoirs extraordinaires qu’il demandait, il ne nourrissait au fond, je le sais bien, aucune pensée d’absolutisme, il n’avait aucune préméditation de coup d’état ; il ne voulait pas certainement étendre cette dictature au-delà de l’objet précis pour lequel il la réclamait ; et il ne songeait nullement par exemple à s’en servir pour changer des lois, pour modifier le régime politique du pays sans le concours des chambres, de même qu’en déployant une implacable rigueur contre tous les malheureux sous-officiers pris les armes à la main il ne voulait pas assurément ériger en système ce qui n’était à ses yeux qu’une nécessité impérieuse et momentanée pour raffermir la discipline ébranlée de l’armée ; mais dans tout cela le duc de Tetuan se trompait encore et sur sa propre situation et sur les conséquences de tout ce qu’il faisait. Il ne voyait pas que des rigueurs, qui au premier moment commencent par sembler nécessaires, finissent bientôt par émouvoir l’opinion, par la troubler, et se tournent contre celui qui prolonge ces douloureux spectacles d’exécutions en masse ; comme il y en eut à Madrid pendant quelques jours. Chose plus grave pour lui, O’Donnell ne voyait pas que la victoire du 22 juin, qui semblait le consolider au pouvoir, avait en réalité tout changé.