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heurtent. Ce qui en fait la moralité et la signification, ce n’est pas qu’elle ait échoué ou qu’elle ait réussi pour le moment, c’est que, victorieuse ou vaincue, elle montre quel chemin on a fait au-delà des Pyrénées, puisque l’Espagne se trouve conduite à ce point où tout ce qui est la vie, liberté, ordre, sécurité, crédit, est livré à la fatalité des passions agitatrices et des passions de réaction qui se disputent avec un acharnement croissant un pouvoir sans lendemain.

C’est là justement ce qu’il y a de dramatique dans cette histoire, gouvernée par une triste et violente logique. Jusqu’ici assurément, depuis trente ans, les insurrections n’ont pas manqué au-delà des Pyrénées ; il y en a eu de toutes les couleurs, et je me souviens, pour l’appliquer à l’Espagne, d’un mot cruellement ironique d’un Américain du sud qui prétendait qu’en fait d’insurrection ils pourraient en envoyer à une exposition universelle des modèles à charger le plus gigantesque navire. Du moins jusqu’ici en Espagne ces insurrections, déchaînées le plus souvent par des passions personnelles, ne dépassaient pas une certaine sphère ; elles étaient l’œuvre de partis impatiens, vivaces, coordonnés, qui en se culbutant alternativement abaissaient leurs coups devant la monarchie autour de laquelle ils se groupaient. Il y a mieux, de toutes les royautés européennes, cette royauté espagnole, telle qu’elle était sortie de la confusion, des événemens contemporains, semblait assurément la mieux faite pour vivre. Elle avait tout à la fois le prestige du droit traditionnel et la popularité d’une institution rajeunie dans une commotion nationale ; c’était la royauté légitime d’une jeune femme personnifiant une Espagne nouvelle devenue l’image vivante et couronnée de la souveraineté populaire. Les révolutions se faisaient à ce mot d’ordre prononcé par un progressiste : « que Dieu sauve le pays et la reine ! » Même en 1854, lorsque tout cependant commençait à changer déjà, la royauté, seule, abandonnée au milieu des barricades de Madrid, n’était pas encore sérieusement menacée et voyait aussitôt se grouper autour d’elle des hommes blanchis au service des idées libérales, des révolutionnaires de la veille. Aujourd’hui, qu’on ne s’y trompe pas, c’est la monarchie elle-même ou du moins la monarchie actuelle qui est en, question. Ce sentiment de loyalisme qui existait autrefois est étrangement affaibli. Manifestement une insurrection victorieuse aujourd’hui au-delà des Pyrénées, c’est peut-être la guerre civile demain ; mais c’est à coup sûr d’abord la défaite prévue, annoncée, d’une dynastie.

Que s’est-il donc passé pour ruiner en moins de vingt ans une situation qui semblait si belle et que rien ne prédestinait