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tombeau de Fatime, l’éclatante ; le pèlerin y adresse une prière à la fille du prophète.

Si l’on se rappelle ce que nous avons dit des dangers et des avanies auxquels les Persans sont exposés, on reconnaîtra, et le baron de Maltzan le fait justement remarquer[1], que leur présence seule au pèlerinage témoigne de la sincérité et de l’ardeur de leur foi. La vénération presque idolâtrique des chiites pour Ali et sa famille se traduit, quand les Persans visitent la mosquée de Médine, par des scènes dans le genre de celles que nous dépeint Burton. L’un des pèlerins lisait l’histoire déchirante de Fatime, et les poitrines étaient gonflées de soupirs, les joues inondées de larmes. L’auditoire était comme suspendu aux lèvres du lecteur avec une attention que l’émotion seule interrompait de temps en temps par des cris : « ah ! Fatime ! on t’a fait injure, hélas ! hélas ! » Ils savent pourtant qu’ils affrontent les coups, les blessures, la mort, pour pouvoir exprimer ces sentimens ou montrer l’indignation satanique qu’ils éprouvent quand ils passent devant les tombes d’Abou-Becker et d’Omar. On ne peut le nier, c’est là de la passion religieuse dans sa plus énergique expression.

Avant d’entrer à La Mecque, les pèlerins doivent se revêtir d’un coutume sacramentel appelé ihram. Les versets 1, 96 et 97 du chapitre de la Vache en parlent, mais non comme d’une institution nouvelle. L’ihram est un linge de laine ou de coton, blanc ou à raies, dont on s’enveloppe les reins ; le pèlerin en jette un autre morceau sur ses épaules en écharpe ; il ne porte aux pieds que des sandales. La tête reste nue. Les femmes prennent aussi un vêtement sacré qui tombe jusqu’aux pieds ; elles demeurent voilées. À cette occasion, on se fait laver, parfumer, raser et couper les ongles. L’usage est de ne revêtir ce costume que lorsqu’on fait le pèlerinage pour la première fois. Cependant par dévotion d’anciens hadji le prennent à chaque voyage, tandis que d’autres, sous prétexte de maladie, gardent leurs vêtemens ordinaires.

On s’est remis en marche. Tout d’un coup un même cri sort de toutes les bouches : « La Mecque ! La Mecque ! le sanctuaire ! le sanctuaire ! » Tout le monde répète : « Fais de moi. ce que tu voudras, ô mon Dieu ! fais de moi ce que tu voudras ! » Les sanglots interrompent à chaque instant la prière. Les pèlerins se prosternent et couvrent le sable de baisers brûlans. M. de Maltzan dit qu’il n’a jamais été témoin ailleurs d’un pareil enthousiasme. Il faut voir maintenant ce que l’impartial Burckhardt a observé depuis le moment où la foule, déjà réunie à La Mecque,

  1. Meine Walfahrt nach Mekka, t. II, p. 140 à 145.