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contra le messager céleste qui lui remit la célèbre pierre noire. A côté de la Kaaba est le puits appelé Zem-zenZy alimenté par une source intarissable que Dieu fit jaillir pour abreuver Agar et son fils. Ces diverses traditions ont pour effet de rattacher l’emplacement où se trouve La Mecque au culte d’un Dieu unique et à la vocation d’Abraham.

Depuis les temps les plus anciens, ce lieu a été le but du pèlerinage des Arabes : aussi les tribus s’en disputaient-elles la possession. Chacune d’elles y avait apporté son idole locale, de telle sorte que la Kaaba était devenue un panthéon sémitique, le sanctuaire d’une religion fédérative, suivant l’expression de Sprenger. Pourquoi cependant une telle réunion de divinités à cet endroit plutôt qu’ailleurs ? pourquoi cette affluence de pèlerins au lieu consacré par le souvenir d’Abraham, le grand monothéiste ? Les Arabes d’avant l’islamisme n’avaient-ils pas d’une manière vague le sentiment ou le souvenir que le temple de La Mecque était élevé à un Dieu supérieur aux autres et par conséquent unique dans ses attributions essentielles ? Il y a plusieurs raisons de croire que les Arabes, malgré les apparences de l’idolâtrie, n’avaient jamais oublié complètement le Dieu d’Abraham, et que la Kaaba était restée son sanctuaire. Il faut remarquer d’abord que dans les mystères et dans les traditions de tous les autres peuples on retrouve des traces incontestables d’idées théologiques et cosmogoniques supérieures à celles qui sont exprimées par leurs pratiques et même dans leurs théories. En second lieu, les Juifs et les chrétiens, qui étaient assez nombreux dans la péninsule, ont dû contribuer à y alimenter l’idée du Dieu unique. Enfin Mahomet a eu, dans la prédication de ce principe, des précurseurs aussi nets et aussi explicites que lui-même. Il a soin de dire d’ailleurs qu’il y avait des musulmans avant lui, qu’il n’apportait pas une religion nouvelle, mais qu’il prêchait celle d’Abraham, de Moïse et de Jésus.

L’état religieux de la péninsule n’a donc pas été aussi radicalement changé par la prédication de Mahomet qu’on pourrait se l’imaginer. Le sabéisme et d’autres idolâtries n’en ont pas complètement disparu. En outre les musulmans continuent à rendre un culte indiscret et idolâtrique à leurs saints locaux, tout en proclamant qu’il n’y a qu’un Dieu. En Perse notamment, par l’effet de tendances nationales vers la séparation, l’islamisme est presque devenu le culte d’Ali et de sa famille. A La Mecque aussi, en vue de la Kaaba, l’oncle de Mahomet est plus craint des habitans que son neveu et que Dieu même. Tel homme qui prend en vain le nom de Dieu et celui du prophète n’oserait jurer par Abou-Taleb, ce fétiche spécial de La Mecque. Il semble que l’introduction de l’islamisme a