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singulièrement l’importance des services effectifs rendus par ces deux familles à la réformation. En Bretagne, une douzaine d’églises situées dans leurs domaines particuliers et pourvues de pasteurs, quelques centaines de vassaux suivant leurs seigneurs au prêche comme à l’armée, quelques réunions assez nombreuses à Nantes et à Vannes, réunions auxquelles l’écrivain reconnaît lui-même que les auditeurs étaient conduits par la curiosité plutôt que par la sympathie, tel fut le seul résultat de la mission de Dandelot dans ses terres de Bretagne. Plein de zèle et d’ardeur, ce jeune guerrier prêchait à la fois de bouche et d’exemple, et Claude de Rieux ne s’y épargnait pas davantage. « Madame sa femme, secondant son zèle et pour donner bon exemple à tous ses sujets, surtout à ses officiers, qui étaient dans de bons sentimens pour la vraie religion, se faisait porter tous les dimanches en litière jusqu’à la Roche-Bernard, à deux lieues de la Bretesche, quoiqu’elle fût grosse d’enfant bougeant et indisposée. Malheureusement il n’en était pas ainsi pour les autres églises, parce que Dieu ne leur avait pas donné un bras séculier, tel que le grand Dandelot, qui autorisait les assemblées par son crédit et par sa présence en un lieu qui était à lui. »

Le désir de posséder l’appui du bras séculier que Crevain exprime ici avec la plupart des hommes de son temps, à quelque religion qu’ils appartiennent, se comprend d’ailleurs fort bien. Les protestans avaient en effet la vie fort dure en Bretagne, et l’arbre de la réformation y portait plus d’épines que de fruits. La prédication des ministres expédiés de Paris ou de Genève n’avait guère d’autre effet que d’exaspérer un peuple profondément catholique, de faire réclamer la sévère application des édits, lorsqu’ils étaient rigoureux, comme l’édit de juillet, et d’en provoquer la violation lorsqu’ils étaient indulgens, comme celui de janvier. Dans la plupart des localités où les réformés célébraient leur culte, dans celles même où la présence de quelques huguenots était seulement soupçonnée, l’agitation se produisait immédiatement, malgré les efforts persévérans du duc d’Estampes pour gouverner avec une modération qui était à la fois une inspiration de son caractère et un calcul de sa politique. Ici des religionnaires étaient assommés ou lapidés, ailleurs, la haine du peuple s’exerçait jusque sur des cadavres traînés sur la claie. Lorsqu’ils n’étaient pas protégés par l’ombre du donjon seigneurial, les lieux d’assemblée étaient sans cesse envahis par la foule, quelquefois démolis, parfois incendiés. A Guérande, où les protestans s’étaient trouvés un moment assez forts pour entreprendre de faire le prêche dans la principale église de la localité, cette tentative donna lieu à une sorte de siège en règle, conduit par M. de Créquy, évêque de Nantes. Ce prélat vint à Guérande, mit en batterie des couleuvrines, et, si l’on en croit