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informé de la vérité à loisir, devançant tous les autres seigneurs en la propagation de la doctrine céleste, » Ce brillant colonel-général de l’infanterie française avait, pour agir sur la Bretagne, des moyens que personne ne possédait au même degré. — Il était l’époux de Claude de Rieux, héritière des grands biens de cette maison, et ce fut dans ses terres que Dandelot répandit la doctrine dont il était si ardemment pénétré. Il se faisait accompagner de deux ministres ambulans, auxquels il assurait sur ses domaines, malgré les édits, l’inviolabilité garantie au frère de l’amiral de Coligny et au neveu du connétable de Montmorency. Crevain semble croire que Dandelot commença par convertir à sa croyance la dame douairière de Laval, sa belle-mère. Par l’influence de celle-ci, Vitré, chef-lieu de sa principale baronnie, devint le siège de la seule église évangélique qui ait conservé une certaine vitalité au siècle suivant. Durant ses pérégrinations religieuses, Dandelot s’arrêtait à Blain, chez Isabeau de Navarre, vicomtesse de Rohan, qui y résidait en souveraine au milieu de ses jeunes enfans et de ses nombreux vassaux. Il est à présumer que, sans être encore convertie au protestantisme, la tante de Jeanne d’Albret témoignait déjà pour cette doctrine des dispositions que les exhortations de Dandelot rendirent de plus en plus favorables. A partir de ce jour, le vaste château de Blain, héritage de la maison de Clisson passé dans celle de Rohan, devint en Bretagne comme la citadelle de la réforme, les protestans s’y réfugiant aux jours de crise pour en sortir sitôt que l’horizon semblait se rasséréner. Les nombreux serviteurs de la première maison de Bretagne furent inscrits, et très souvent d’office, aux registres de la religion nouvelle. On comprend de quel enthousiasme doit être transporté Crevain lorsqu’il décrit la splendeur de cette demeure quasi royale s’ouvrant, comme l’arche au milieu des grandes eaux, pour recevoir ses coreligionnaires en détresse. Rien de plus légitime que l’admiration qu’il exprime pour cette vieille race dont la renommée commence avec « Ruhan ou Rohan, fils puîné de Conan Meriadec, premier roi de Bretagne, et de la princesse Ursule d’Angleterre, quelque peu avant la naissance de la monarchie française. » Il faut, dit-il, reconnaître sans aucune contestation que les deux puissantes maisons de Rohan et de Laval, l’une par Isabeau de Navarre, l’autre par Dandelot, ont été « comme deux canaux par où le Seigneur a fait d’abord couler la grâce de la vérité en cette province pour la réformation ; Dieu s’est servi d’elles, et après lui c’est à elles que nous devons notre délivrance et notre soutien[1]. »

Si naturelle que soit la reconnaissance de Crevain, il exagère

  1. Histoire ecclésiastique de Bretagne, p. 62.