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les autres provinces entre les populations rurales et la classe maîtresse du sol, parce qu’aucun souvenir de conquête ne s’élevait pour les séparer, nulle part ailleurs la doctrine sortie du moule féodal ne s’était produite et maintenue dans une plus rigoureuse pureté. La manière dont les masses entendaient et acceptaient les droits du gentilhomme laisse fort bien comprendre pourquoi les états de Bretagne finirent par donner accès dans leur sein à quiconque pouvait justifier de la simple qualité de noble. Le gentilhomme à l’épée de fer, qui avait quitté sa charrue pour paraître aux grandes assises de son pays, s’y montrait en vertu d’un titre égal à celui des neuf grands barons de la province, à peu près comme le pauvre citoyen de la Suburra arrivait au forum pour voter dans les comices entre le descendant des Jules et celui des Claudius. C’était une sorte de suffrage universel appliqué à quiconque avait obtenu l’initiation au droit politique du temps.

Si les états se montrèrent sévères gardiens de leurs prérogatives financières, ils laissèrent promptement tomber en désuétude plusieurs privilèges importans garantis à la province par Louis XII et par François Ier, soit que ces privilèges fussent manifestement incompatibles avec l’intérêt de la monarchie, soit qu’il répugnât à leur honneur de les invoquer. Au nombre des articles le plus promptement mis en oubli figure au premier rang celui qui subordonnait au consentement des états l’emploi hors de Bretagne des milices, du ban et de l’arrière-ban de la noblesse, enfin des compagnies d’hommes d’armes à la solde des seigneurs bretons. Je n’ai rencontré nulle part la trace d’une observation faite par les états relativement à la destination donnée par le roi aux forces militaires de la province, réserve d’autant plus remarquable qu’il n’est guère de session où des débats très vifs ne se soient engagés entre les commissaires royaux et les trois ordres à propos des garnisons françaises établies dans les places fortes de la Bretagne. Le mode de casernement de ces troupes provoquait en effet des plaintes et des récriminations continuelles, et les états ne parvinrent à amortir ces difficultés que par la création d’un fonds général d’abonnement voté dans le courant du XVIIIe siècle. De ce silence sur les questions militaires et de ces débats fréquens sur les intérêts financiers, on peut inférer que les états n’hésitèrent point à abandonner dès l’origine à la couronne l’entière disposition des forces armées.

Indépendamment de sa part dans la défense commune ce pays avait une obligation particulière sur laquelle on voit que l’attention des trois ordres demeure constamment attachée. Il lui fallait défendre un littoral immense, qui, durant la seconde moitié du XVIe siècle, fut constamment menacé, car la France fut presque toujours