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servir afin d’accomplir des projets répudiés par la sagesse du pays. Placé entre un chef dont il soupçonnait les vues intéressées et les auxiliaires espagnols appelés par celui-ci sur un territoire dont ils cherchèrent bientôt à s’emparer pour leur propre compte, ce petit peuple fit preuve d’une rare prudence ; il sut, en maintenant à la guerre contre la royauté protestante un caractère exclusivement religieux, résister tout ensemble et à des espérances décevantes et aux irritations qui sont la conséquence ordinaire d’une longue lutte. La Bretagne n’hésita pas un moment dans sa fidélité à la France en combattant Henri IV, et quand ce prince se fut incliné devant la volonté de la nation dans la basilique de Saint-Denis, le duc de Mercœur eut à lutter à la fois et contre l’indifférence du pays pour des projets qui n’intéressaient plus ses croyances et contre les vues d’alliés étrangers aspirant à devenir ses dominateurs. Henri IV n’eut pas de province plus fidèle, quoique le Béarnais se soit montré pour elle plus prodigue de mots heureux que de mesures réparatrices, et qu’elle eût à guérir des blessures dont la profondeur n’a pas encore été révélée.

Lorsque les deux minorités orageuses de ses successeurs rendirent aux grands du royaume des espérances trompées par l’énergie de Richelieu et la prudence de Mazarin, la Bretagne opposa la résistance obstinée de l’honnêteté et du bon sens aux tentatives des tristes ambitieux dont elle avait pénétré l’égoïsme et la nullité politique. Sous la fronde, elle demeura soumise et paisible, profitant alors largement du bénéfice de ses institutions particulières, qui ne furent jamais plus respectées que sous Louis XIII et durant les premières années du règne de Louis XIV.

Mais quand l’autorité royale eut triomphé des dernières résistances seigneuriales, quand le souverain apparut aux yeux des peuples comme le seul représentant de leurs intérêts, la Bretagne cessa de rencontrer près du pouvoir les ménagemens qu’on n’avait pu lui refuser dans les temps difficiles, et qu’elle avait si bien reconnus en fermant l’oreille aux suggestions de tous les brouillons de cour. Louis XIV étendit sur elle le niveau de sa puissance absolue, et Colbert se montra bien plus inflexible que ne l’avait été Richelieu. Les ministres ne tardèrent pas à considérer ce pays, qui rappelait à chaque tenue d’états ses privilèges et osait se prévaloir de ses droits au milieu de l’universel silence, comme professant des principes incompatibles avec le respect dû à la majesté royale. Si les secrétaires d’état comptèrent quelquefois par prudence avec une grande province à laquelle demeurait encore le droit de se plaindre, ce fut en s’indignant de cette exception, presque scandaleuse à leurs yeux, tant l’intervention du pays dans son propre gouvernement leur