Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’audition du nom magique de Napoléon, dit le pieu biographe de M. d’Osmond, les idées s’élevaient, les cœurs s’échauffaient, les masses se mettaient en mouvement et s’agitaient pour la gloire et pour le salut de la patrie[1]. » L’évêque ne se sentait pas d’aise du succès de son heureuse invention. Il se rencontra cependant une légère difficulté : il fallait dans l’office du jour faire tout au moins une mention quelconque de ce bienheureux qui avait l’honneur de recruter tout à coup de si fervens adeptes. Or personne n’en avait jamais ouï parler en Lorraine. « Nous nous occupons à rechercher la légende de ce saint, écrit M. d’Osmond, ou du moins un abrégé de sa vie. Vous le dirai-je ? à la honte de toutes les bibliothèques de la ville de Nancy, vainement nous avons feuilleté tous les volumes qui pouvaient nous en instruire. Les bollandistes sont muets sur son compte, et le martyrologe romain lui-même n’en fait pas mention. » M. d’Osmond, un peu mortifié, s’adressait donc à Paris à M. Portalis[2]. A Paris, même embarras. Le ministre des cultes lui-même n’en savait pas davantage. Il fallut avoir recours au cardinal-légat, qui de son côté s’adressa au saint-siège. Grâce aux efforts de l’infatigable représentant du souverain pontife, on vit enfin paraître à la suite du décret instituant la fête de l’empereur au 15 août la légende du saint désormais si cher, mais la veille encore si profondément inconnu à tout l’épiscopat français. Ce document, tiré des martyrologes et des anciens écrivains, apprit à la France entière, qui l’avait jusqu’alors complètement ignoré, que « sous les empereurs Dioclétien et Maximien, pendant la persécution cruelle qu’ils décrétèrent contre les disciples de Jésus-Christ, un nombre considérable de courageux confesseurs avaient souffert le martyre dans la ville d’Alexandrie en Égypte. Parmi eux, on rencontrait un Neopolis ou Neopolas, nom grec qui, d’après la manière de prononcer introduite en Italie au moyen âge, se serait transformé peu à peu en Napoleo, puis à l’italienne Napoleone[3]. »

Après avoir enrichi le calendrier d’un saint de plus, il ne restait plus à l’empereur qu’à se faire professeur en droit canon, à décréter pour son compte et de son autorité privée des dogmes nouveaux, à prescrire enfin ce qu’en matière de foi les fidèles étaient tenus de croire sous peine de damnation éternelle. Il n’y manqua point. Mme de Staël a parlé avec une juste indignation dans ses Considérations sur la révolution française d’un certain chapitre du catéchisme impérial enseigné jusqu’à la chute de Napoléon dans

  1. Vie épiscopale de Mgr d’Osmond, par l’abbé Guillaume ; Nancy 1862.
  2. Lettre à M. Portalis, 25 avril 1806.
  3. Collection des Mandemens de Nancy-Toul, 1802 à 1812, 3 juin 1806. Extrait de l’ouvrage de l’abbé Guillaume.