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succès. Ronald, une fois la glace brisée entre sa belle-mère et lui, se donna complètement à elle ; il l’accepta pour guide dans plusieurs circonstances décisives, et, se trouvant généralement bien d’avoir suivi ses inspirations, il devint son allié fidèle, son champion résolu, ainsi que l’éprouvèrent désormais tous ceux qui se permirent la moindre allusion aux projets ambitieux, à la savante dissimulation, à l’égoïsme concentré de lady Muriel.

Peut-être n’était-il pas inutile d’entrer dans tous ces détails pour faire comprendre l’effet produit sur le frère de Madeleine par la lettre où lady Muriel lui laissait entendre que cette enfant, cédant aux instincts de son âge, s’était peut-être un peu trop vivement intéressée à l’un des hôtes de Kilsyth. Ceci lui parut un empiétement énorme sur les droits de la tendresse un peu exigeante qu’il portait à cette sœur chérie. Aimer ainsi le premier venu, l’aimer sans permission, sans demander conseil, sans même faire confidence d’un pareil changement, était-ce un procédé acceptable ? Encore de qui s’agissait-il ? Lady Muriel, bien entendu, ne nommait personne. Ronald, toujours rigoriste, ne demandait guère de congés, et cette année-là n’ayant point quitté Londres, il n’était pas à même de résoudre aisément l’énigme proposée à sa curiosité. Après y avoir réfléchi deux ou trois jours, il crut avoir trouvé le moyen de la satisfaire, et contre sa coutume alla passer la soirée au club, espérant y rencontrer Duncan Forbes, dont les journaux annonçaient la rentrée en ville.

Il l’y trouva effectivement au milieu d’un groupe de « revenans » qui se questionnaient les uns les autres sur l’emploi de leur saison d’automne. L’entrée de Ronald, événement fort rare en ce lieu, fit évidemment sensation, car la causerie s’arrêta court. Pas si court toutefois qu’il n’eût saisi à la volée le nom de sa sœur et celui de sa belle-mère mêlés aux propos de cette jeunesse en gaîté, ce qui ne laissa pas de produire sur lui une impression fort désagréable. Comprenant bien qu’il fallait faire la sourde oreille, il s’approcha sans affectation des causeurs, distribua quelques poignées de main à ceux qu’il connaissait le mieux, et finit, toujours sans témoigner le moindre souci, par emmener dans un coin le personnage qu’il prétendait confesser.

Toute cette adresse fut dépensée en pure perte. Duncan Forbes demeura impénétrable, par cette simple raison qu’il n’avait réellement rien à laisser pénétrer. Il dressa sans s’en douter la liste complète des jeunes célibataires qui s’étaient succédé à Kilsyth, et malgré l’éveil donné à ses soupçons Ronald ne put raisonnablement attribuer à aucun d’eux le privilège d’avoir charmé Madeleine. En fin de compte, parlant des dangers qu’elle avait courus,