l’autorité douce et persuasive, la protection sans orgueil. N’était-il pas naturel qu’elle s’attachât instinctivement à son sauveur ?
En songeant que ce sauveur était un homme jeune encore et qu’elle-même trouvait digne d’une estime toute particulière, lady Muriel se dit que cette rencontre n’avait rien de fort heureux pour les projets qu’elle avait formés au sujet de Madeleine et de Ramsay Caird. D’ailleurs, et abstraction faite de cette combinaison réservée, Wilmot n’était-il pas marié ? Marié, il l’était en effet, et ce n’était pas la première fois que lady Muriel avait eu à se poser cette question banale : — que peut être la femme de Chudleigh Wilmot ? — Sa réponse, la voici au naturel : — quelque sotte bourgeoise indigne de lui, et que très certainement il n’aime point. — Ceci dit, elle s’était tenue pour satisfaite ; mais alors il ne s’agissait pas de Madeleine.
Autre question. — Serait-il possible que Wilmot eût jamais songé ?… Ah ! fi donc… un médecin, un homme marié ;… mais encore ?… Un homme que je mets à part de tous les autres, qui a sa place dans mes préférences,… qui a pu, qui a dû nécessairement, si modeste qu’il soit, non certes deviner, mais pressentir cette rare, cette unique distinction… Et comment n’en aurait-il pas été flatté ?… Ébloui, fasciné serait trop dire, mais flatté… Entre cette petite et moi, un homme de cet ordre,… ah ! certes non, il ne saurait me la préférer…
Quand elle se fut donné à elle-même toutes ces excellentes raisons, toutes ces consolantes assurances, lady Muriel en tira cette conclusion… Mais laissons la parole aux faits, qui ne la prennent jamais hors de propos.
Kilsyth était dans son cabinet, occupé à examiner en détail une belle arme de chasse qui venait de lui arriver. Sa femme entra, le sourire aux lèvres, prit le rifle dans ses mains délicates, en fit jouer à plusieurs reprises les ressorts d’une exquise souplesse, loua la sévère simplicité de la monture, et après quelques menus propos éparpillés à dessein sur une demi-douzaine de sujets insignifians : — Pensez-vous, Alick, dit-elle, que le docteur Wilmot nous honore encore longtemps de sa compagnie ?
Cette question surprit évidemment l’honnête châtelain, qui, après avoir regardé sa femme avec une sorte d’inquiétude, lui répondit en hésitant un peu : — Il restera tant qu’il voudra,… c’est-à-dire tant qu’il sera nécessaire à Madeleine… Avez-vous en somme quelque objection à ce qu’il prolonge ici son séjour ?
— Moi ?… pas le moins du monde… Je ne songe qu’à ne point abuser de sa bonne volonté. Un homme de talent aussi occupé… Si Madeleine avait encore besoin de lui,… mais elle est hors d’affaire.