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— S’inquiète-t-il de si peu de chose !… Véritablement, Henrietta, je ne saurais vous comprendre.

— Vous me comprenez au contraire à merveille, reprit l’autre, s’emparant bon gré mal gré de deux mains fiévreuses qui se dérobaient à ses étreintes… Pourquoi vous obstinez-vous à dissimuler des souffrances qui vous minent et qu’il faudrait combattre ?

Mabel ne répondit qu’en tournant la tête pour ne pas laisser voir une ou deux larmes échappées en dépit d’elle de ses paupières à demi closes.

Pour le coup, Henrietta Prendergast se sentit troublée. Sa sensibilité fort restreinte lui permettait bien de laisser passer inaperçues des angoisses qui, par certains côtés, caressaient ses pires instincts ; mais il lui était impossible de méconnaître absolument un devoir strict, quand ce devoir s’imposait à elle. Parfaitement convaincue que l’ignorance où le silence de sa femme l’avait maintenu était chez le jeune médecin la cause unique de l’indifférence étrange dont1 cette dernière avait à se plaindre, elle ne pouvait demeurer complice d’un malentendu pareil, ni garder la responsabilité des conséquences redoutables qu’il pouvait entraîner. Bien qu’elle continuât à nourrir contre Wilmot un certain ressentiment ténébreux, — ressentiment dont l’aveu lui eût été fort pénible, — il n’entrait pas dans sa pensée de laisser s’accomplir, pouvant y remédier, un désastre comme celui dont il semblait menacé. Donc elle prit courageusement en main, contre son amie, la cause de l’époux absent. — Vous êtes injuste, s’écria-t-elle avec un certain effort… Vous avez tout fait au monde pour aveugler votre mari, et vous lui en voulez maintenant du succès de vos efforts !… C’est mal… En continuant ainsi, vous n’allez à rien moins qu’à détruire votre bonheur et le sien.

— Deux bonheurs qui depuis longtemps n’ont rien de commun, reprit mistress Wilmot avec une amertume mieux accentuée,… et l’un des deux (ce n’est pas le sien) n’a plus besoin qu’on cherche à le sauver du naufrage… Tranquillisez-vous du reste sur ma santé… D’ici à quelques jours, si je ne me sens pas mieux,… Eh bien ! j’appellerai Whittaker… En attendant, je vais l’adresser à M. Foljambe… Parlons d’autre chose maintenant.

Mistress Prendergast se garda bien d’insister ; mais elle resta près de son amie tout exprès pour la confesser un peu plus tard. Les deux cousines dînèrent ensemble. A l’heure du thé, Henrietta, sans faire semblant de rien, ramena la conversation sur le sujet qui lui tenait au cœur, et tout à coup, risquant une manœuvre décisive : — Écoutez, dit-elle, vous ne sauriez me demander une discrétion que je me reprocherais ensuite toute ma vie… Votre mari doit être prévenu de ce qui se passe… Si ce n’est par vous, eh bien !… ce sera par