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connaissez assez, pour savoir que ce n’est pas là une phrase de roman. »

Muriel, l’altière Muriel, un moment transportée hors d’elle-même, ne prit que le temps de jeter un épais manteau sur ses vêtemens de bal, un capuchon sur sa tête couronnée de fleurs, et de se faire conduire ainsi par un cocher qui lui était dévoué jusqu’à la demeure de l’ami qu’elle allait perdre. Elle le trouva plutôt assis que couché sur des coussins empilés autour de lui. Ses yeux caves, les plaques rouges qui marbraient ses joues blêmes, l’horrible toux qui déchirait sa poitrine, ne laissaient guère place à la moindre espérance. La garde-malade qui le soignait passa d’elle-même fort discrètement dans la seconde pièce de ce logis plus que modeste, et les deux amans, pour la première fois de leur vie, se trouvèrent seuls en face l’un de l’autre. Stewart, parlant avec une extrême difficulté, s’excusa de l’impardonnable égoïsme qu’il avait mis à faire naître, à solliciter une tendresse dont il n’était pas digne et dont il ne pouvait profiter, une tendresse uniquement destinée à être, disait-il, son soleil couchant, à dorer de quelques trompeurs rayons les dernières journées qu’il eût à passer ici-bas… Tandis qu’il parlait ainsi, sa respiration d’instant en instant devenait plus courte, les battemens de son cœur s’accéléraient, il se laissait aller plus pesamment dans les bras que Muriel avait passés autour de son cou… Ce fut alors, dans cette suprême étreinte, qu’il trouva la force de lui parler encore, de lui recommander un frère cadet dont il était l’unique soutien… Il la savait promise à un bel avenir… Se chargerait-elle de ce legs ?… Viendrait-elle en aide à l’orphelin ?… Pouvait-il compter qu’elle lui serait toujours une protectrice dévouée ?

A chacune de ces questions, Muriel avait répondu par une solennelle promesse, la main dans la main de l’agonisant. Quarante-huit heures plus tard, Stewart Caird n’était plus ; six semaines après ses funérailles, Muriel épousait Kilsyth, et déjà depuis quinze jours, fidèle à son vœu, la femme de Kilsyth avait rêvé pour son protégé, Ramsay Caird, un mariage qui devait le rendre un objet d’envie. Elle lui destinait in petto la main de sa belle-fille. Madeleine, il est vrai, n’avait à prétendre, en fait de dot, qu’une vingtaine de mille livres sterling à elle laissées par un riche propriétaire des highlands, lequel était mort sans enfans après l’avoir tenue sur les fonts baptismaux ; mais, sans faire entrer en compte les chances futures, n’était-ce pas là un magnifique parti pour un jeune cadet sans le sou, qui gagnait sa vie au jour le jour dans les bureaux d’un agent d’affaires ? Peu de temps après le mariage, elle le fît venir à Kilsyth, et, trouvant en lui quelque intelligence jointe à beaucoup de soumission, elle lui laissa vaguement entrevoir, dans un