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de ses femmes qui fut chargée de l’aider en sa toilette de nuit. A certain moment, tandis qu’on mettait en ordre autour de sa tête (élégante et d’un galbe classique) sa magnifique chevelure brune son front, ses joues, sa nuque même et la naissance de ses épaules au derme fin et serré se couvrirent d’une vive rougeur. S’étonnant elle-même de son émotion : — C’est singulier, répéta-t-elle par deux fois, sans avoir conscience des mots qu’elle laissait échapr per ainsi,… c’est bien singulier !… Pour expliquer ce que cette exclamation involontaire peut avoir d’énigmatique, nous voudrions pouvoir reproduire, comme en un miroir magique, les images qui se succédaient, invisibles pour tout autre qu’elle, devant la grande dame à sa toilette.

Elle se trouva transportée dans la maison où sa jeunesse s’était écoulée ; elle s’y vit sollicitée comme elle l’avait été par deux riches prétendans. Ni l’un ni l’autre n’avaient pu se faire agréer. Un brasseur (millionnaire, il est vrai), un constructeur de railways… Ah ! , fi donc ! Muriel Iuchgarvie avait le cœur trop haut pour s’abaisser jusqu’à ces rustres enrichis. L’opulence, il la lui fallait, mais sans dégradation, sans qu’elle fût réduite à déchoir pour l’obtenir. Pouvait-elle en échange donner son cœur ? Question gênante. Le cœur était pris. Il y avait de par le monde un jeune avocat de Lincoln’ Inn, tenant de loin aux Inchgarvie et qu’on appelait Stewart Caird, un pauvre garçon mince et frêle, d’une santé médiocre, que chacun, accueillait avec une condescendance bienveillante, car on le savait sans autres ressources que celles de sa profession, bien dure aux débutans, plus çà et là quelques revenans-bons littéraires puisés dans la caisse de quelque magazine ou de quelque feuille quotidienne. Pensez-vous que lady Muriel songeât à se donner un mari de cet ordre ? Ce serait la connaître mal, et Stewart Caird, eût-elle consenti à l’épouser, avait le cœur trop bien placé pour accepter pareil sacrifice. Pourtant ils s’aimaient, et ils se l’étaient dit, tristement, humblement, sans bâtir sur cette affection mutuelle, si malencontreuse, si nécessairement stérile, aucun de ces châteaux en Espagne dont l’architecture fantastique est si familière aux amoureux.

Les choses allaient ainsi depuis six mois, peut-être plus, lorsque, l’avocat cessa tout à coup, pendant quelques jours, de se montrer dans les réunions du monde où d’ordinaire nos deux jeunes gens se rencontraient. Muriel s’en étonna, mais sans trop s’arrêter aux inquiétudes que pouvait lui suggérer cette lacune imprévue dans leurs relations. Un soir qu’elle s’habillait pour le bal, on lui remit un billet sur lequel ces mots étaient écrits au crayon : « Si vous voulez me voir avant ma mort, venez sans retard !… Vous me