Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tibériade. Marsus, le proconsul romain de Syrie, eut des soupçons et en prononça la dissolution. Nul ne sait ce qui serait arrivé, si une mort inopinée, expliquée diversement, n’était venue surprendre le roi juif à Césarée. Avec lui disparut l’œuvre des Hérodes. Son fils Agrippa II était trop jeune encore pour lui succéder. Le régime des procurateurs recommença, et les malheurs, les avanies, l’exaspération croissante du peuple juif avec lui. La manie d’insulter le judaïsme était descendue jusque dans les derniers rangs des soldats romains chargés de maintenir l’ordre pendant les grandes fêtes. Nous ne saurions décrire la cynique posture qu’un jour l’un d’eux imagina de prendre au moment même où les fidèles recueillis gravissaient les marches conduisant aux parvis sacrés. Ce n’est du reste qu’un détail entre mille. Qui croirait que la politique impériale poussa l’inintelligence de la situation jusqu’à imposer pour procurateur aux Juifs un renégat, Tibère Alexandre, natif d’Alexandrie, dans l’idée qu’il saurait ménager les susceptibilités de ses anciens coreligionnaires ! Les Juifs eussent mieux aimé être gouvernés par Béelzébub en personne. Agrippa II ne fut qu’une ombre de roi, et en fait ne régna pas un seul instant comme prince indépendant. Mal vu de la population à cause de ses mœurs dissolues, accusé d’inceste avec sa sœur, la belle et impudique Bérénice[1], — dont Titus fut si épris qu’il faillit en faire une impératrice et que, dit Suétone, invitus invitam dimisit, — Agrippa II assista sans pouvoir l’apaiser à cette fermentation populaire qui fit enfin une si terrible explosion en l’année 66. La malheureuse Judée eut pendant quelques mois l’illusion du retour de l’antique indépendance. Quatre ans après, la lugubre fumée qui montait en colonnes sur la montagne sainte annonçait le néant de ces rêves théocratiques, et le temple d’Hérode, comme celui de Salomon, disparaissait pour toujours dans les flammes.

La famille des Hérodes rentra dans l’obscurité où elle se perdit sans laisser de traces. On sait seulement qu’un Hérode Agrippa, neveu du dernier roi, fut en 79 l’une des victimes de la fameuse éruption du Vésuve qui recouvrit Herculanum et Pompéi. Comme la famille asmonéenne, elle échoua dans la tâche de faire prospérer ensemble un état et une religion qui en théorie devaient s’identifier, et qui dans la pratique, à moins de vivre dans un isolement absolu du reste des hommes, entraient aussitôt en conflit. Les Asmonéens, couronnés au nom de la foi, se brouillèrent avec leur peuple sur le terrain politique ; les Hérodes, élevés sur le trône par la nécessité

  1. Les désordres de Bérénice, dont la liste est longue, ne l’empêchaient pas d’avoir aussi des accès de dévotion. Quand l’insurrection éclata, elle était à Jérusalem occupée à s’acquitter d’un vœu de nasiréat.