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séparées par un intervalle d’environ cent huit ans, mais que ces époques, au lieu d’être bien définies, durent ordinairement de vingt à trente ans. Le phénomène se montre surtout dans la nuit du 10 au 11 août ; l’une des apparitions les plus remarquables a été celle de 1848. Ces pluies de météores ont d’ailleurs de temps immémorial frappé l’imagination des peuples. Chez les catholiques d’Irlande la tradition veut que les étoiles filantes du mois d’août soient les larmes brûlantes de saint Laurent, dont la fête tombe précisément le 10 ; aussi a-t-on donné à ces météores le nom d’essaim de la Saint-Laurent. D’après une autre tradition répandue en Thessalie, dans les contrées montagneuses qui entourent le Pélion, le ciel s’entr’ouvre pendant la nuit du 6 août, fête de la Transfiguration, et des flambeaux apparaissent à travers cette ouverture. Les annales de la Chine et les livres saints des Hindous mentionnent également les pluies d’étoiles filantes. Le Mâhabhârata, parlant des prodiges qui parurent dans le ciel après le combat de l’oiseau Gavouda contre l’éléphant Soupratika, nous apprend « qu’au milieu d’épouvantables ouragans les étoiles filèrent dans le ciel par milliers. »

Les allures caractéristiques de ce phénomène, dont on peut suivre les traces jusque dans la plus haute antiquité, faisaient soupçonner l’existence d’anneaux ou d’essaims de météores que la terre devait rencontrer à de certaines époques de l’année dans sa course autour du soleil. On avait émis les hypothèses les plus diverses sur la forme et sur la nature de ces essaims ; quelques astronomes y voyaient des groupes de planètes infimes, sorte de monnaie d’appoint ajoutée à la terre et circulant avec elle depuis sa naissance. M. Schiaparelli nous ouvre des horizons nouveaux. Pour lui, toute cette poussière d’étoiles est venue de l’espace infini, et a été enchaînée au système solaire par une action perturbatrice que les grosses planètes ont exercée sur elle à une époque déterminée.

Voici le raisonnement ingénieux de l’astronome italien. Il commence par considérer le mouvement d’une nuée cosmique arrivant en droite ligne des profondeurs de l’univers et que le soleil attire dans sa sphère de domination. M. Schiaparelli montre qu’une pareille agglomération de corpuscules changerait inévitablement de forme à mesure qu’elle approcherait du terme de son voyage, et qu’au lieu de se ruer en tourbillon compacte au milieu des planètes, elle pénétrerait dans les parages soumis au soleil sous la forme d’un long courant qui mettrait peut-être des milliers d’années à défiler au-devant de l’astre. Le lit de cet immense fleuve météorique ressemblerait d’ailleurs à une orbite cométaire, à cela près que celle-ci n’est qu’une ligne mathématique, sans existence matérielle, tandis que l’orbite des astéroïdes serait tracée comme un sillon lumineux à travers les ténèbres du vide interplanétaire. Si la terre rencontre sur son chemin un pareil torrent d’étoiles coulant autour du soleil, il en résulte chaque année, à date fixe, une pluie de météores qui