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état que par le passé. Arrivant au pouvoir il y a un an, au lendemain d’une insurrection sanglante réprimée par d’autres, il aurait pu assurément, sans manquer de vigilance et d’énergie, travailler à un certain apaisement des esprits, réduire ses adversaires à l’impuissance par l’autorité d’une politique conciliante et forte. Il n’a malheureusement rien fait de semblable. Il a épuisé tous les procédés de la compression, il s’est laissé aller un jour à emprisonner, à exiler le président du sénat, le président du congrès ; il a réduit la presse au mutisme, il a fait des lois comme il a voulu, et après six mois d’état de siège il a cru sauver les apparences en rassemblant un congrès par lequel il a fait tout approuver. Il a pensé être en sûreté parce qu’il faisait le silence autour de lui, parce qu’il domptait toutes les résistances et ne souffrait aucune contradiction même dans les plus étroites limites de la loi. Il n’a réussi qu’à envenimer la lutte, à se créer à lui-même une situation impossible entre les absolutistes purs, aux yeux desquels il n’a pas fait encore assez, et des adversaires d’un autre genre qui ne sont pas tous certainement des révolutionnaires, des ennemis de la dynastie. En un mot, il a poussé les choses à bout de telle sorte qu’il lui est difficile de revenir en arrière.

C’est là ce qui a fait la force de l’insurrection ; ce qui fait sa faiblesse, c’est elle-même, c’est la manière dont elle s’est engagée, c’est son chef, c’est son programme. C’était, il faut en convenir, une étrange façon de préparer une insurrection, que de l’annoncer presque à jour fixe. Le gouvernement espagnol savait ce qui le menaçait ; il savait à peu près par où il allait être attaqué, et il s’est trouvé, au moment voulu, comme capitaine général à Barcelone, un homme qui a le mérite d’une volonté forte à l’appui de dangereuses convictions absolutistes, c’est le général Pezuela, comte de Cheste, qui, pour lui, ne cédera pas facilement, on peut y compter. Quant au chef de l’insurrection, quant au général Prim, il aurait certes toutes les qualités nécessaires, s’il suffisait de la bonne volonté de devenir un personnage. Le général Prim peut se croire spécialement appelé à être président du conseil ou même président de république au besoin ; il peut se piquer d’émulation et avoir l’ambition d’arriver, lui aussi, à tout, parce que Espartero, Narvaez, O’Donnell, ont été à la tête du gouvernement. Malheureusement pour lui, avec son passé fort mêlé, il inspire peu de confiance, et aux yeux de bien des Espagnols, le drapeau d’une révolution semble singulièrement placé dans ses mains. Ce ne sont pas à coup sûr les généraux de l’union libérale qui l’appuieront. Le parti démocratique lui-même ne peut voir dans ce pétulant ambitieux qu’un futur dictateur de plus. Les habiles parmi les progressistes ne s’allient à lui que parce qu’ils espèrent le dominer. Tout cela ne fait pas une situation bien triomphante. Et le programme même de l’insurrection, quel est-il ? On ne le sait au juste, quoiqu’on le devine aisément. C’est évidemment le résultat d’un compromis entre des nuances