un général expédié de Madrid par le gouvernement. Jusqu’ici, pour rester dans le vrai, on peut dire que l’insurrection n’a provoqué ni défections sérieuses dans l’armée ni soulèvement dans le pays. Cette fois encore, c’est le général Prim qui est à la tête du mouvement ; mais où est le général Prim au milieu de tout cela ? Voilà sur quoi le télégraphe ne se prononce pas. Est-il à Bruxelles ou en Angleterre ? Est-il dans quelque vallée pyrénéenne, guettant un premier succès, ou caché à Barcelone ?
Prim passe à l’état de mythe, il devient en vérité un personnage légendaire qui est partout et qui n’est nulle part. Depuis deux ans, il se démène, il conspire et ne s’en cache guère ; depuis sa célèbre retraite vers le Portugal, lors de sa première prise d’armes au mois de janvier 1866, il prépare l’insurrection, s’adressant tantôt à l’armée, tantôt au peuple. Puis, au moment venu, on ne sait plus où il est, il ne paraît pas plus en Catalogne qu’il ne parut l’an dernier dans le mouvement du 22 juin à Madrid. Le général Prim n’est point tenu évidemment de donner avis de sa présence à ceux qu’il va combattre ni même au public. Ce n’est pas moins une chose curieuse qu’une insurrection commençant et se prolongeant pendant quinze jours sans qu’on entende parler de celui qui la dirige et en a donné le signal ! Quant aux autres chefs qui courent la Catalogne et l’Aragon avec leurs bandes, ce sont pour la plupart des hommes assez obscurs, quelques-uns anciens généraux ou anciens colonels, comme Contreras, Moriones, Lagunero. Le plus saillant, à ce qu’il semble, est ce pauvre général Pierrad, que le télégraphe promène sur tant de points à la fois, officier fort brave, mais aussi sourd que brave, condition singulière pour un chef d’insurgés, et que des mécontentemens aigris ont jeté dans ces bagarres. C’était déjà lui qui, au mois de juin 1866, dirigeait le mouvement dans la courte et sanglante lutte qui eut lieu à Madrid. Que va-t-il arriver maintenant de cette échauffourée nouvelle ?
La vérité est que cette insurrection a une triste gravité, moins peut-être par ce qu’elle peut faire aujourd’hui que par la situation qu’elle révèle. Cette situation, pour tout dire, n’est rien moins que rassurante, et ce qu’il y a de plus terrible, c’est que le gouvernement lui-même est engagé dans une voie où il ne peut que provoquer des luttes à outrance. Depuis treize mois qu’il est au pouvoir, le ministère du général Narvaez semble n’avoir eu qu’une pensée, la compression, qu’il colore vainement du prétexte d’une nécessité patriotique, la nécessité d’arrêter le torrent révolutionnaire, de raffermir l’ordre, de ramener la sécurité, de réorganiser les finances. Tout cela est fort juste sans doute, mais ne s’obtient guère par de tels moyens. Combien faudra-t-il encore d’expériences pour montrer que la dictature promet ce qu’elle ne peut tenir, qu’elle ne fait que provoquer des révolutions nouvelles en les légitimant ? Par le fait, le ministère du général Narvaez n’a point du tout rétabli l’ordre, ni ramené la sécurité, ni réorganisé les finances, qui ne sont pas en meilleur