Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tantôt ce sont les progressistes, tantôt ce sont les modérés qui se jettent dans l’arène. Chaque parti triomphe par les armes et est abattu par les armes. Chaque parti passe tour à tour par cette déplorable alternative : vainqueur, il prétend à la domination exclusive ; vaincu, il est exilé, il émigre en France ou en Portugal et va préparer une revanche qui jusqu’ici n’a jamais manqué. La conséquence à la longue, c’est cette situation extrême et violente qu’on voit aujourd’hui, où le gouvernement, sous un nom constitutionnel, n’est plus qu’une dictature sommaire, ou les oppositions, ne se contentant plus désormais de révolutions ministérielles, poursuivent ostensiblement la ruine des institutions fondamentales, de cette royauté qui a été un jour le symbole de la résurrection libérale de l’Espagne, et qui avec des directions plus sages aurait pu pour longtemps rester hors de toute atteinte. Voilà le fruit, le triste fruit de ces luttes qui s’aggravent en se renouvelant sans cesse, et où il ne reste plus que la force des ambitions irritées, de toutes les passions personnelles qui semblent se donner rendez-vous dans un dernier combat. C’est là le caractère de cette insurrection qui vient encore d’éclater. Elle n’est point certes plus extraordinaire que toutes les autres, et de toutes celles qui ont eu lieu elle a été assurément la moins imprévue. Depuis six mois, tout le monde l’annonçait chaque matin. Des programmes étaient presque publiquement débattus. Ceux qui devaient la diriger ou y prendre part, on les connaissait ; les points d’attaque qu’elle devait choisir étaient faciles à prévoir. Elle a fini par éclater, et il y a quinze jours qu’elle se prolonge confusément, obscurément, au milieu de ce feu croisé de nouvelles contradictoires qui devient la partie comique de tous les événemens politiques et particulièrement de toute échauffourée espagnole. Le télégraphe aidant, on finit par n’y plus rien voir et n’y plus rien comprendre.

Où en est-elle aujourd’hui, cette insurrection, et qui pourrait bien le dire ? — Elle est dispersée et refoulée sur la frontière française, annonce chaque jour le télégraphe officiel. — Elle va de triomphe en triomphe, elle prend des villes, et d’un instant à l’autre elle embrasera l’Espagne, répond le télégraphe révolutionnaire. Depuis quinze jours, ce dialogue peu nouveau et en vérité peu intéressant déroute et distrait la curiosité des nouvellistes dans l’intervalle des entrevues d’Allemagne et des voyages impériaux. Ce qui est certain, c’est que cette insurrection était évidemment un coup décisif tenté par les oppositions radicales non plus seulement contre le ministère Narvaez, mais contre la reine elle-même, contre la monarchie. Ce qui n’est pas moins certain, c’est que jusqu’ici, malgré tout, elle n’est point en progrès. Elle ne semble point avoir dépassé les provinces du nord ; elle est restée concentrée en Catalogne et en Aragon avec quelques ramifications du côté de Valence. Elle n’a point emporté de villes comme on l’a dit, et n’a vu tomber en son pouvoir ni Saragosse ni Barcelone. Son plus grand exploit se réduit à une rencontre où a péri