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M. Stanton répondit par un refus, et il fut destitué après une délibération du cabinet. Le congrès s’était bien douté des représailles que Johnson voudrait exercer sur les grands fonctionnaires d’origine radicale et il avait promulgué une loi qui interdisait au président de destituer les ministres nommés par lui. M. Stanton eût été couvert par cette loi, s’il eût été appelé au ministère par M. Johnson ; mais sa nomination avait été faite par Lincoln, et par conséquent le bénéfice de la nouvelle loi, grâce à cette distinction subtile, ne lui était point applicable. Johnson ne s’est point contenté de la destitution du ministre de la guerre, il prive de leurs commandemens plusieurs généraux influens placés à la tête des circonscriptions militaires du sud et qui exécutaient la reconstruction avec l’énergie des idées radicales du congrès. C’est ainsi qu’il a déplacé le général Sickles et qu’il a retiré le commandement du district du New-Orléans au plus brillant peut-être des généraux des États-Unis, au général Sheridan, ce chef de cavalerie dont les militaires européens étudient les innovations efficaces dans l’emploi de cette arme, le vainqueur de la bataille des Cinq-Fourches et des combats des derniers jours livrés autour de Petersburgh et de Richmond. M. Johnson a remplacé M. Stanton par le général Grant, lequel étant au service comme général en chef de l’armée américaine, a allégué, pour motiver l’acceptation du ministère, l’obéissance hiérarchique qu’il doit au président comme commandant suprême des forces du pays. La soumission de Grant à l’ordre présidentiel qui l’investit du ministère de la guerre est loin cependant d’avoir été absolue ; il a résisté d’abord au déplacement de Sheridan, porté au commandement du Missouri, et a exigé que toutes les mesures prises par son compagnon d’armes à la Nouvelle-Orléans fussent maintenues. Voilà les obstacles que rencontre aux États-Unis le chef du pouvoir exécutif dans l’exercice de son autorité. Ces obstacles ont été posés par des lois comme des garanties contre les erreurs et les fautes du pouvoir exécutif. On peut en juger dès à présent l’efficacité ; on l’appréciera peut-être mieux lorsque le congrès, rentrant en session, pourra s’occuper des incartades du président Johnson.


E. FORCADE.



L’INSURRECTION ESPAGNOLE.


Une insurrection en Espagne, ce n’est malheureusement ni un fait nouveau ni une circonstance bien extraordinaire. Depuis quarante ans, à part quelques périodes privilégiées, relativement paisibles et régulières, qui auraient pu certes durer si les passions ne l’emportaient toujours au-delà des Pyrénées sur les intérêts du pays, à part ces périodes passagères, qu’est-ce donc que la vie de l’Espagne, si ce n’est une série d’insurrections, un champ de bataille où toutes les ambitions, tous les ressentimens, se disputent un pouvoir précaire et graduellement abaissé ?