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les traits les plus vifs. Les Anglo-Normands, rangés autour d’un drapeau qui est porté au centre de leur armée sur une sorte de chariot et surmonté de l’hostie consacrée, défendent avec un courage infatigable ce symbole de leur puissance et de leur civilisation. De toutes parts des hordes nombreuses, mais mal armées, au milieu desquelles une troupe plus régulière, celle du roi des Scots, assiègent la forteresse mouvante qui vient menacer leur liberté, recommencent vainement un perpétuel assaut, et se jettent dans le désordre et la confusion sans pouvoir entamer un ennemi couvert de fer. Voilà l’Angleterre et l’Ecosse aux prises dans la première moitié du XIIe siècle. Un discours mêlé par un témoin de la bataille à la relation qu’il en a faite en dit plus dans sa rhétorique anglo-normande que bien des pages d’histoire. S’il est de pure invention, ce que je ne crois pas, c’est une bonne fortune que le narrateur se soit piqué d’imiter Tacite et Quinte-Curce. Ce discours, qui met sous les yeux la scène entière, est prononcé par Walter Espec, vieux guerrier normand à la haute stature, aux cheveux noirs et à la barbe longue. Il parle du haut du chariot, sous le saint-sacrement. Pourquoi désespéreraient-ils de vaincre, lorsque la victoire leur a été accordée comme en fief par le Très-Haut ? Ne sont-ce pas leurs aïeux qui ont envahi une grande partie de la France avec une poignée de guerriers, qui en ont effacé non-seulement la race primitive, cum gente, mais encore le nom ? .. N’ont-ils pas conquis la Calabre, l’Apulie, la Sicile ? « Nous avons vu, oui, nous avons vu de nos yeux le roi de France avec toute son armée prendre la fuite devant nous… Qui donc ne serait tenté de rire plutôt que de trembler en voyant le vil Écossais à demi nu, seminudis natibus, se présenter à nous pour combattre ? .. (Voilà le petit jupon écossais excitant la gaîté de ces chevaliers de fer du XIIe siècle.) A nos lances, à nos épées, à nos flèches, ils n’opposent qu’un simple cuir[1], n’ayant qu’une peau de veau pour tout bouclier. L’excessive longueur de leurs piques aperçues de cette distance serait-elle pour nous un objet d’épouvante ? Ce n’est qu’un bois fragile et un fer émoussé ; quand il frappe, il se brise ; parez seulement avec un bâton, et voilà l’Écossais désarmé !… » Vient ensuite la description des affreuses cruautés dont ces barbares, surtout ceux du pays de Galloway (les anciens Pictes) se sont rendus coupables. Ils arrachent les enfans du ventre de leurs mères pour les tuer. Ils passent ensuite à leurs horribles banquets sans laver même leurs couteaux tout rouges du sang des victimes. Ils boivent le sang humain mêlé avec l’eau, et se félicitent d’avoir assez vécu pour se désaltérer du

  1. Nudum corium. Je crois qu’il faut l’entendre autrement que n’a fait Augustin Thierry.