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les légendes, les Sakalas, les Sardaina, les Tursa, les Akaiuas et les Leka, dans lesquels M. de Rougé reconnaît les Sicules, les Sardes, les Tyrrhéniens, les Achéens ou Grecs et les Lydiens. Si ces identifications se confirment, il faut en conclure que, dès le XIVe siècle avant notre ère, les populations de l’Europe méridionale avaient déjà fondé des établissemens sur la côte d’Afrique, et il y a là une grave présomption pour admettre que les Tamehou appartenaient à notre race. Ces peuples d’ailleurs ne nous sont pas représentés comme des sauvages sans civilisation et sans culture. Les inscriptions de Karnak nous apprennent que dans sa défaite le chef des Libyens perdit ses joyaux d’or et d’argent, ses ustensiles de bronze, les parures de sa femme, ses meubles, ses arcs, ses épées, ses animaux domestiques (bœufs, chèvres, ânes).

Ainsi, à une époque où l’histoire n’est encore ailleurs pour nous que ténèbres, l’Asie et l’Afrique étaient peuplées, et la civilisation y avait déjà fait quelques progrès. Les Égyptiens ne formaient pas une nation isolée dans sa puissance et sa grandeur. Des liens de parenté devaient les rattacher à quelques-unes de ces races ; mais ces liens, quels étaient-ils ? Là réside un problème difficile, encore obscur, sur lequel toutefois M. de Rougé, dans ses Recherches sur les monumens qu’on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon, a jeté une lumière inattendue. Disons quelques mots des résultats auxquels il a été conduit.

Les Égyptiens ne nous ont rien appris de leur véritable origine ; comme bien d’autres peuples, ils avaient oublié leur berceau, et, persuadés qu’ils étaient nés sur le sol même que fertilise le Nil, ils se donnaient pour avoir été créés par le dieu-soleil Ra. Ils ne s’attribuent d’autre appellation que celles d’hommes (Rut), mot qui par la confusion de R et L et de T et D, propre à l’égyptien, est identique à l’hébreu Lud (pluriel Ludim), dont la Genèse fait un des fils de Misraïm. Or comme sous cette dernière appellation les Israélites désignaient tout un ensemble de peuples fixés sur le littoral sud-est de la Méditerranée, il faut en conclure que, d’après la Genèse, les Égyptiens ou Ludim appartenaient à la même souche que la race qui peuple en partie la côte de Syrie et de Palestine. L’étude de la langue égyptienne confirme cette donnée. Les formes de cette langue la rattachent par des liens assez nombreux aux idiomes de la famille syro-araméenne. Ces affinités sont devenues plus apparentes depuis qu’on a approfondi la connaissance de l’ancien égyptien, dont le copte est dérivé. Il est donc à supposer que les Rut pénétrèrent dans la Basse-Égypte par l’isthme de Suez, puis s’avancèrent en remontant le cours du Nil. Ils doivent avoir rencontré là une autre population, vraisemblablement de même origine,