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science était supérieure à la sienne et qui pouvaient à leur gré faire parler les dieux. Imbu des mêmes croyances que ses sujets, il subit l’action des idées superstitieuses qu’elles entretenaient, et, comme cela est arrivé si souvent ailleurs, le prêtre dut tenir en respect le despote. Sous la XIXe dynastie, on voit grandir considérablement l’importance des grands-pontifes d’Ammon ; ils finissent, sous les derniers Ramsès, par gouverner l’empire, et se préparent à l’usurpation de la couronne que marque la XXIe dynastie.

L’Égypte fut donc au plus haut degré une terre sainte, et sa population un peuple d’adorateurs des dieux. La religion y était non-seulement la grande affaire, mais l’affaire presque exclusive ; elle dominait tout. Cette religion, à qui l’étudie dans sa théologie mystique, ne s’offre pas comme un pur amas de fables puériles et ridicules ; le sens cosmique, astronomique, moral, parfois profond, de ses symboles en fait oublier aux savans la grossièreté, la bizarrerie ou même l’obscénité. On trouve dans cette théogonie des conceptions qui rappellent soit les croyances chrétiennes, soit les spéculations philosophiques, de l’ancienne Grèce ; mais le voile dont elle s’enveloppa invitait plus à l’idolâtrie que les mystères des autres religions polythéistes. Le peuple, ne pouvant le percer, devait s’arrêter aux formes extérieures, faites plutôt pour rabaisser que pour élever les pensées religieuses, et confondait l’emblème avec la réalité.

Rien ne montre cela d’une manière plus palpable que le culte des animaux. L’usage des symboles tirés de la nature animée, qui a laissé des traces si nombreuses dans l’écriture hiéroglyphique, avait conduit à donner pour emblème à chaque divinité l’animal qui rappelait ses énergies et ses vertus. On fut ainsi amené à vénérer ces animaux comme les images vivantes des dieux[1] ; on les plaça dans les temples, on leur rendit des adorations, on les embauma après leur mort. En plusieurs lieux, on finit par les prendre pour des incarnations mêmes de la divinité qu’ils symbolisaient. C’est ce qui arriva notamment pour le taureau. Honoré à Memphis comme l’image d’Osiris depuis le règne d’un roi de la IIe dynastie, Kaiechos (Kakau), il fut plus tard regardé comme une incarnation du dieu. Ainsi au culte d’une divinité bienfaisante et rémunératrice se trouva substituée l’adoration d’un animal stupide, et le sanctuaire devint une étable. Cette idolâtrie toutefois trouvait dans les inventions théologiques des prêtres une justification qui en effaçait la grossièreté. Le culte d’Apis, identifié après sa mort, avec Osiris (Sarapis ou Sérapis), s’expliquait par un mythe qui n’est pas sans quelque ressemblance avec l’idée chrétienne de l’incarnation.

  1. C’est par un enchaînement d’idées toutes semblables que certaines sectes de l’Orient révèrent la colombe et s’interdisent d’en manger la chair, parce que l’Esprit-Saint a revêtu la forme de cet oiseau.