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éternelle, » de « seul générateur dans le ciel et la terre qui ne soit pas engendré, » idée qui reparaît pour toutes les divinités qui, sous des noms divers, reproduisent les traits principaux de la Divinité suprême. Dans chacune des triades qu’adoraient les différens nomes, le dieu principal se donne naissance à lui-même. Voilà pourquoi, il reçoit l’épithète de mari de sa mère, car on se le représente comme s’étant engendré lui-même. Considéré comme père, le dieu demeure la grande divinité, le vrai patron du temple ; considéré comme fils, il devient par une sorte de dédoublement la troisième personne de la triade et représente plus spécialement le côté humain de la Divinité ; mais, ainsi que le remarque judicieusement M. Mariette, le père et le fils n’en sont pas moins le dieu-un, tout en étant double ; le premier est le dieu éternel, le second n’est qu’un symbole vivant destiné à affirmer l’éternité de l’autre.

Les analogies de cette conception avec la trinité chrétienne n’échapperont à personne, et qu’il s’appelle Ammon, Chnouphïs, Phtah, Osiris, le dieu qui s’engendre lui-même ressemble par bien des côtés au Dieu des chrétiens. En effet Ammon, le chef de la triade thébaine, le Jupiter du panthéon égyptien, est bien le dieu tel que le comprend notre théologie. Il est, ainsi que le signifie son nom, le ressort caché qui pousse la nature à se renouveler sans cesse, il constitue l’essence même de l’existence divine ; mais, dans l’impossibilité de saisir cette essence mystérieuse, de l’atteindre dans son principe, les Égyptiens y substituaient en l’adorant la plus éclatante de ses manifestations ; le soleil, qui sous le nom d’Ammon-Ra devenait le roi des dieux, le seigneur du ciel, et était également donné comme s’engendrant lui-même.

On peut voir à l’exposition du Champ de Mars une jolie figurine en bronze de ce dieu, une autre du même métal de Maut, sa mère et son épouse, et une troisième de Khons, son fils. les Grecs avaient confondu Ammon avec Chnouphis, représenté comme ayant la tête de bélier, et dont il existe une statuette à l’exposition. Chnouphis est le souffle d’Ammon, c’est-à-dire le souffle ou l’esprit divin, première manifestation de l’énergie divine. A Philœ, il est appelé « celui qui fait tout ce qu’il y a, le créateur des êtres, le premier existant, le père des pères, la mère des mères. » Plus d’un trait le rapproche de Phtah, assimilé par les Grecs à Vulcain.

Le propre des polythéismes, c’est de n’être point exclusifs, de ne point repousser absolument les dieux des théogonies étrangères ; Le polythéiste, tout en honorant ses dieux nationaux, ne déniait pas l’existence des dieux des autres peuples, seulement il ne les adorait pas. L’Égypte, parquée en districts religieux, se prêta toutefois moins que la Grèce et Rome aux emprunts du dehors, et elle ne paraît avoir introduit dans son panthéon qu’un très petit nombre de