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souveraine. Cette puissance, déjà si grande chez les peuples de l’Asie voisins de cette contrée, prenait le caractère d’une véritable idolâtrie. Les Égyptiens n’étaient à l’égard de leur roi que des esclaves tremblans, obligés d’exécuter aveuglément ses ordres.

Tandis que les classes inférieures de la société étaient maintenues dans un véritable servage, que les cultivateurs du sol, les sua-u, passaient avec la terre aux nouveaux propriétaires, que nul ne pouvait abandonner le pays sans la volonté du roi, comme le montre la clause d’extradition réciproque contenue dans le traité d’alliance de Ramsès II et du prince de Khet, les fonctionnaires ne constituaient que l’humble domesticité du pharaon. Les plus insignifiantes faveurs de celui-ci à leur égard sont mentionnées dans leurs épitaphes comme leurs titres de gloire les plus éclatans. L’un, par exemple, a été autorisé à toucher aux genoux du roi et dispensé de se prosterner jusqu’à terre devant lui ; l’autre a obtenu le privilège de garder ses sandales dans le palais du prince. Pour s’accommoder d’un semblable régime, pour consentir à s’annuler complètement comme individu et à n’être que le docile ouvrier de la gloire du maître, il fallait que l’Égyptien, ainsi que l’ont été presque tous les peuples de l’Orient, fût totalement dépourvu de ce sentiment d’indépendance, de dignité personnelle, qui est la force et le titre de noblesse des nations occidentales modernes, et perce déjà chez les Grecs et les Romains ; mais pour que ce régime ait duré tant de siècles sans se modifier notablement, il a fallu aussi que l’Égyptien fût profondément pénétré de l’idée que le gouvernement auquel il était soumis émanait de la volonté divine. Une vive foi religieuse pouvait seule lui inspirer la résignation nécessaire à sa condition servile. C’est une pareille résignation qui explique la facilité avec laquelle les fellahs, descendans des anciens Égyptiens, et en général les nations musulmanes acceptent le joug de fer que leur impose une autorité capricieuse et tyrannique. La doctrine du fatalisme contribue beaucoup à entretenir cette absence de ressort moral nécessaire à celui qui est condamné à vivre sous le despotisme oriental. Les sociétés asiatiques n’ont pu dépasser un certain niveau de civilisation et se débarrasser de certains restes de barbarie précisément parce qu’elles tendent, par le milieu dans lequel elles placent les âmes, à étouffer en elles ces instincts de liberté individuelle qui peuvent seuls assurer les droits de la justice et de l’humanité. En Égypte, tout tendait en effet à assujettir les esprits à un culte étroit qui ne laissait aucune place à l’indépendance de la pensée. La religion enserrait comme dans un inextricable lacis toutes les existences et tous les actes ; rien n’était négligé pour que les imaginations fussent de bonne heure pliées à une foi absolue dans les dogmes qu’elle enseignait. De cette