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alors que tous les peuples de l’Occident sympathisaient avec l’insurrection de Varsovie, lui et M. Palaçky n’avaient pas hésité à se déclarer contre cette insurrection. « Nous avons reconnu hautement et franchement les torts et les injustes des Polonais, nous avons reconnu la justice des exigences russes. » Il ne contesterait nullement les crimes de la Pologne envers le peuple moscovite aussi bien dans le passé que dans le présent : dans le passé, elle a détaché de la Russie la branche petit-russienne et protégé le rite uni ; dans le présent, elle empêche l’unité des Slaves et fait cause commune avec l’Occident. « Tant que durera cette haine implacable, tant qu’une nation slave se trouvera en dehors de notre congrès panslave, tant qu’une nation slave sera en opposition avec les autres, il n’y aura ni concorde parmi nous ni succès dans notre vie commune. Si la lutte entre les Russes et les Polonais continue, qui nous assure que les Polonais n’appelleront pas encore à leur aide, dans un moment opportun, les Allemands, si grandis en puissance militaire ? Je prévois avec douleur que dans ces luttes périra encore une nation slave !…. » Revenant de nouveau sur les torts de la Pologne envers la Russie et sur leur juste punition, M. Rieger se demandait pourtant si la guerre était inexpiable et si toute pensée de paix devait être abandonnée pour jamais. « Qu’y a-t-il à faire quand un frère a offensé l’autre et quand l’offensé a vaincu son adversaire ? Faut-il que l’amertume, la haine, durent pendant des siècles ? Je crois qu’il doit venir un moment où l’amour fraternel parle de nouveau, à ce moment décisif, le héros vainqueur peut dire avec magnanimité au frère vaincu : Je t’ai dompté, tu es à ma merci, je puis faire de toi ce qui me plaît ; mais je suis juste et je suis un frère, je te fais don de la vie !… » M. Rieger ne prétendait pas indiquer les moyens ni déterminer le moment d’une réconciliation possible ; il s’en rapportait au cœur et à la sagesse d’Alexandre II, de ce tsar magnanime « qui n’est pas seulement un grand monarque, mais un grand et noble Slave. » Il exprimait seulement une espérance. « Je veux croire que les Polonais feront l’aveu de tous leurs torts, de toutes les injustices qu’ils ont commises envers vous, qu’ils en exprimeront le repentir, et alors vous de votre côté… Je sais que votre cœur est encore rempli d’amertume, que vos blessures saignent encore ;… mais quand le droit russe sera franchement reconnu par les Polonais, alors j’espère que vous aussi, comme bons Slaves, comme une nation magnanime et sentant sa force, comme bons fils et disciples fidèles de nos saints apôtres, vous prononcerez le mot de l’amour et du pardon !… »

Certes il y avait quelque mérite, il y avait peut-être bien aussi quelque courage à prononcer un pareil discours devant une pareille assemblée, et toutefois que d’outrages ce discours ne faisait-il pas