Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tchèques surtout étalaient leurs décorations russes. A peine le rideau fut-il tombé sur le premier acte, écouté dans une attente fiévreuse, que le public se leva en masse, et, se tournant vers les loges, éclata dans un cri immense de slava ! Les « hôtes » répondirent par un salut, et les hourrah redoublèrent : slava Palaçky ! slava Rieger ! Le vétéran tchèque dut de nouveau s’avancer profondément ému et s’incliner. On entonna le « Dieu protège le tsar, » le rideau se leva, et acteurs et spectateurs ne formèrent plus qu’un seul immense chœur qui chantait l’hymne national. La pièce put enfin continuer, les diverses allusions « furent saisies par les hôtes avec un tact rare ; » mais lorsque le héros de l’opéra prononça les mots : « je mourrai pour le tsar, pour la Russie, » l’enthousiasme devint de nouveau frénétique. Il y eut des tonnerres d’applaudissemens pour les différentes danses slaves exécutées par le corps de ballet ; mais on hua impitoyablement la mazurka polonaise, et on sortit heureux et fier d’avoir fait participer les « frères slaves » à cette manifestation contre le peuple rebelle.

Le gouvernement, on le conçoit, était tenu à beaucoup plus de réserve qu’un public d’opéra ou de raout, et la présentation des « Slaves étrangers » à la cour porta le caractère d’un acte diplomatique grave et sobre, où les mots étaient pesés avec soin et tous les mouvemens convenus d’avance. L’empereur reçut la députation à Tsarkoê Sélo au milieu de sa famille. Il dit à MM. Palaçky et Rieger qu’il lui était particulièrement agréable (osobénno priyatno) de les voir parmi les autres hôtes ; il s’entretint avec chacun des notables en les engageant surtout à l’étude de la langue russe, (pour la plus grande part, la conversation à Tsarkoë Sélo se tenait en allemand et en français) ; il se fit lire une adresse par les Serbes et exprima l’espoir « que la Providence leur réservait dans un prochain avenir un meilleur sort ; » enfin, et s’adressant cette fois à l’ensemble de la députation, il prononça ces paroles au milieu des slava et des jiviô de l’auditoire : « Je vous souhaite la bienvenue, mes frères slaves (rodnyé bratya), sur cette terre slave ! J’espère que vous serez satisfaits de l’accueil que l’on vous fait ici et que l’on vous fera à Moscou. Au revoir !… » Les mots rodnyé bratya[1] produisirent sur les assistais un effet « électrique, » et le fil électrique les transmit immédiatement à Prague, à Agram et à Belgrade… Sa majesté présenta ensuite aux députés ses augustes enfans, et chacun des membres de la famille impériale eut pour eux quelque parole gracieuse. L’impératrice s’entretint longtemps avec M. Palaçky ; elle trouva que les écrivains tchèques étaient très puristes dans le styles « ce qui leur faisait honneur, » et regretta vivement que les

  1. Ces mots signifiant littéralement frères nés ensemble, frères de la même mère.