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puisqu’elles provoquèrent de la part de M. Militchévits une déclaration des plus touchantes. Élevé en Serbie, disait ce généreux compatriote de Kara-Georges, n’ayant jamais quitté le pays natal, il avait eu d’abord dans sa jeunesse des idées tout à fait faussées sur le compte de la Russie, grâce aux pernicieux livres élémentaires conçus dans un esprit hostile, dans un esprit occidental. Ce n’est que plus tard, à l’âge viril, qu’il est arrivé seul, par son propre travail et par un procès intérieur, à des appréciations plus justes et tout à fait opposées. Toutefois si grande est l’influence de cette presse occidentale toujours acharnée contre la Russie, qu’il avait encore, et jusque dans les derniers temps, certaines perplexités, certains scrupules ; mais ce qu’il a vu à Varsovie a fini de lui enlever tous ses doutes, de détruire tout reste de préjugés, et c’est d’un cœur radieux et tranquille qu’il boit maintenant à la santé de l’armée russe… Ce petit speech l’emporta sur tous les autres, bien qu’un certain aphorisme du docteur Polith (du Banat) ne manquât pas non plus d’une saveur originale. Ce fut précisément le spectacle de Varsovie qui avait délivré M. Militchévits de toutes ses préventions contre les Russes, et c’est de même à Varsovie que M. Polith découvrit aux Moscovites une vocation toute spéciale pour la fraternité ! « La devise de fraternité, dit-il, si prônée en Occident, n’a été jusqu’à présent qu’un vain mot ; ce mot, la Russie est appelée à en faire une vérité… » La musique russe entonna l’hymne « Dieu protège le tsar, » les Serbes répliquèrent par le chant Mnogaia lieta (longues années au tsar), l’enthousiasme fut à son comble ; les hourrah, les slava, les jiviô, se succédèrent sans relâche. M. Brauner, le député tchèque, trouva cependant le moyen de toucher encore quelques mots de la grave question du manuscrit de Kralodvor et du fragment de Libussa, ce sempiternel sujet de discorde entre les archéologues et les paléographes de l’Allemagne et de la Bohême.

Telle fut la grande journée slave de Varsovie ; celle de Wilna lui ressembla en tous points. Arrivés le 19 dans la capitale de la Lithuanie, les « hôtes » y eurent leur dîner dans le club russe avec les toasts et les discours obligés, leurs parades militaires et les visites dans les établissemens publics. Ils ne rendirent du reste que pleine justice à la situation pittoresque de la ville, à la beauté de ses églises, de ses palais, des édifices élevés jadis par les Jagellons à la science, à l’étude, à la vie contemplative, et maintenant déserts, vestiges vénérables d’une civilisation antique et glorieuse, — « monumens du joug latino-polonais[1], » dit le journal officiel russe. Le député slave qui transmet ses impressions au Politik de Prague est plus diplomate ; il parle du « couvent des bernardins,

  1. Pamiatniki latino-polskaho iga, expression de l’Invalide russe du 30 mai.