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véritables de la statuaire et de la peinture nationales. « Ni le paysan marchand, s’écriait avec éloquence M. Ramazanov, ni le cocher, ni la marchande des quatre saisons, ni moi, professeur de l’académie des arts) nous ne reconnaissons nos grands patriotes et héros dans les figures qui ornent nos places publiques et nos édifices. Où est le kaftan, où est le bonnet, où est la ceinture de ce Minine dont la prétendue statue se dresse devant le Kremlin ? en bien ! sa ceinture, son bonnet, son kaftan, sont à l’exposition ethnographique !… »

Tandis que les « types » du manège de Moscou satisfaisaient ainsi pleinement le professeur Ramazanov et lui présageaient un art régénéré et mis à la portée des gamins d’Arkhangel et des marchandes de légumes de Moscou (l’art de l’avenir !), ils irritaient au contraire quelque peu M. Katkov par un excès de naturalisme qui, dans la section grand-russe surtout, blessait profondément ses patriotiques instincts. Le célèbre publiciste[1] voulait bien reconnaître « que dans une collection ayant un but scientifique il n’y avait pas de place pour des paysans d’opéra et des villageoises de ballet ; » était-ce cependant une raison de renoncer à tout sentiment d’idéal et de goût ? Les Bachkirs, eux, « se sont bien pourtant rappelé le proverbe français, » et, laissant leur linge sale pour le laver en famille, ils ont eu l’esprit de paraître à l’exposition dans des chemises propres et des costumes brillans. Ainsi ont pensé également les mannequins tchèques, croates, monténégrins. Pourquoi donc la Grande-Russie seule a-t-elle tenu à se montrer « en haillons et repoussante au possible ? » Pourquoi, « sous prétexte d’approcher le plus de la vérité, » a-t-on construit des izbas aussi laides et aussi difformes ? Était-ce là le spectacle qu’on devait offrir aux étrangers, et surtout à l’auguste tsarevna (la princesse Dagmar) ? « Son cœur, ce cœur dans lequel s’est enflammé déjà, nous en sommes sûrs, l’amour de sa nouvelle patrie, » a dû se serrer à la vue de cette habitation moujike, et quel malheureux argument fourni par-dessus le marché « aux touristes français, toujours prêts à décrire le paysan russe comme un troglodyte ! »….. « Dans ce groupe grand-russe, qui devrait représenter toute la sève de l’empire, nous chercherions en vain les signes de cette force mystérieuse et morale qui attire et assimile les races environnantes : nous restons ébahis devant cette masse sans physionomie, sans expression, ni sens. Comment, pas une non, pas une figure gentille et accorte parmi les trente exemplaires féminins réunis dans ce groupe ! Rien que de gros et stupides yeux à fleur de tête, rien que des nez en pommes de terre, rien que le grossier et le grotesque !… » Et, s’élevant à des considérations plus générales, M.

  1. Gazette de Moscou, du 12 mai 1867.