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état intermédiaire et capable de les disjoindre d’une manière efficace, un état devenu, d’autant plus nécessaire à l’équilibre du monde que ces deux puissances ont démesurément grandi ? Les peuples qui s’étendent le long du Danube et de la Vistule et qui, — tantôt sous le nom de grande Moravie ou de couronne de saint Etienne, de royaume des Jagellons ou d’Ostreich, — ont de tout temps et comme instinctivement cherché à former une fédération d’états qui pût assurer leur indépendance politique et leur développement national, ces peuples pourront-ils être maintenus dans un faisceau commun et conservés à la civilisation occidentale, ou bien ce faisceau serait-il définitivement rompu, et ses élémens iront-ils s’engloutir dans une agglomération quelconque de race ? C’est ainsi que la question de l’Autriche se trouve posée devant l’homme d’état ou le publiciste, l’historien ou le penseur, devant tous ceux, enfin à qui les intérêts de la liberté et de l’individualité humaines sont demeurés chers. Et certes, si l’opinion éclairée de l’Occident pouvait par son seul poids faire pencher la balance de l’un des côtés, si les vœux seuls de toutes les âmes bien nées suffisaient à faire surmonter les obstacles et à écarter les dangers, — si Pergama dextra… — la réponse à une pareille question ne serait point longtemps douteuse.

Les dangers sont grands en effet, et ils ne viennent pas exclusivement ni même principalement de la situation intérieure de l’Autriche, de son état économique, financier et administratif, de la difficulté, enfin qu’elle éprouve à coordonner et à constituer ses élémens nationaux et vitaux ; cette difficulté même, elle procède bien plus du dehors, que du dedans, et les efforts politiques se brisent précisément contre cette force physique et, matérielle du sang, de l’origine et de l’espèce dont il a été parlé plus haut. A peine, M. de Beust, après de longues et pénibles transactions avec la Hongrie, venait-il, au commencement du printemps, de planter à Pesth et à Vienne le drapeau de la liberté constitutionnelle, — drapeau bien peu développé encore sans doute et flottant au hasard, mais qui suffisait pour servir de signe de ralliement, — que dans un empire voisin se dressait tout à coup l’étendard opposé, l’étendard de la race, le symbole de la fatalité, provoquant aux défections et aux désaffections et sapant par la base l’œuvre qu’on avait ébauchée. Au moment même où les deux parlemens de l’Autriche allaient être réunis, commençait en Russie une agitation tumultueuse qui, tantôt sous le nom d’exposition ethnologique et tantôt sous celui de congrès slave ou congrès de Moscou, a fasciné pendant des mois entiers les populations slaves de l’empire des Habsbourg et leur a donné une impulsion aussi dangereuse pour l’existence