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LE
CONGRES DE MOSCOU
ET
LA PROPAGANDE PANSLAVISTE

Avec la rare énergie qu’il savait mettre dans l’expression des vérités lumineuses aussi bien que des paradoxes bizarres, M. de Maistre a parlé un jour de la chaîne par laquelle les peuples sont attachés au ciel : la chaîne est souple et nous retient sans nous asservir ; mais elle se raccourcit brusquement à l’approche de ces momens mystérieux que dans l’histoire on nomme de grandes catastrophes, l’action de l’homme diminue alors, ses moyens le trompent, et il est entraîné par une force inconnue… Cette vigoureuse image s’impose involontairement à l’esprit qui essaie de comprendre les vicissitudes et les épreuves du temps présent. Évidemment la chaîne s’est raccourcie, l’action de la liberté individuelle a diminué dans les événemens auxquels nous assistons, nos moyens nous ont trompés, et une force aveugle et toute matérielle désagrège les élémens de la république européenne. La condition purement physiologique du sang, de l’origine, de l’espèce, se substitue à l’organisme complexe produit par les siècles, à l’œuvre d’une civilisation longue et laborieuse, et nous revenons à l’état de nature par un détour que n’a point rêvé la fantaisie de Rousseau, par le sentiment de la race. L’histoire physique l’emporté sur l’histoire politique, religieuse et civile, et la désolante théorie de Darwin sur la disparition forcée des espèces faibles étend sa loi jusque dans le domaine moral de l’humanité chrétienne. Il n’y a plus de place dans ce domaine pour les