Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
REVUE DES DEUX MONDES.


mier mouvement en mettant le pied dans la retraite hospitalière fut de tomber à genoux et d’appeler la protection du ciel sur cette église de Constantinople, « qu’il n’avait point quittée, disait-il, car il l’emportait dans son cœur. » Sa fuite avait été opérée avec tant de prudence et de mystère, sa trace était si complètement perdue, que tout le monde put croire, comme le comte lui-même le rapporta, que le banni se trouvait au lieu fixé pour son exil.

La nuit de son enlèvement fut pour Constantinople une nuit de deuil et de larmes ; l’histoire nous en fait un touchant tableau. Elle nous montre cette multitude naguère furieuse et exaltée, devenue tout à coup silencieuse et morne, courant aux églises pour prier et réclamer du ciel ce père que lui enlevaient les hommes. Comme les églises ne suffisaient pas, on priait sur les dalles des rues, sous les portiques des places, partout enfin, et, suivant le mot de Chrysostome lui-même, « la ville entière n’était plus qu’une église. » Les maisons des pauvres étaient désertes : hommes, femmes, enfans, artisans, mariniers, marchands, tout le monde était là, tout le monde voulait participer à cette émeute de supplications et de larmes qui s’élevaient vers la justice du ciel. Un seul cri, poussé de temps à autre, rappelait les passions de la terre : « qu’on rassemble un concile général ! » C’était le seul remède que les hommes pussent offrir maintenant. Lorsqu’au point du jour le peuple fatigué commençait à rentrer dans ses quartiers, Théophile arriva de Chalcédoine, et, ramassant tout ce qu’il y avait d’Alexandrins au port, il prit possession de la ville comme un conquérant ecclésiastique. Les clercs, qui jusque-là s’étaient tenus cachés, accoururent autour de lui pour faire valoir leurs services et recevoir ses instructions. Il récompensa les plus zélés, leva l’interdiction des plus indignes et prodigua ordination, avancement, dignités à tout venant. Tout ce qu’avait réglé l’archevêque fut aboli. L’ordre de Théophile à ces prêtres fut que chacun allât prendre possession de son église particulière ; mais la foule ameutée s’y opposa. Théophile lui-même ayant voulu pénétrer dans la basilique épiscopale, les fidèles le repoussèrent. Les Alexandrins de son escorte tirèrent leurs armes, et on se battit. La résistance du peuple fut énergique. L’église et le baptistère se remplirent de cadavres, et la cuve baptismale regorgea, dit-on, de sang humain. La bataille une fois commencée, les magistrats envoyèrent des troupes pour la soutenir ; on se battit partout, chaque église devint une citadelle où le peuple se barricadait, et que les soldats forçaient militairement à coups de levier et de traits. Le sang coulait dans les sanctuaires, et des cris de malédiction et de carnage y remplaçaient l’hymne de la miséricorde. Quoique les couvens de Constantinople fussent généralement hostiles à