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sostome, tant on mettait d’ardeur à l’attirer, tant on avait le désir de le tenir en sa possession sur l’autre rive du détroit. Un de ces hommes, s’adressant brutalement à l’archevêque : « Pourquoi tardes-tu ? lui dit-il, le concile t’attend, il t’ordonne de venir devant lui te laver, si tu le peux, des crimes dont on t’accuse. » L’archevêque dédaigna de parler à ce misérable ; mais, prenant tout de suite trois de ses évêques fidèles, il les envoya porter au synode cette réponse verbale : « Quelle étrange procédure inventez-vous donc contre moi, vous qui d’un côté refusez d’écarter de vos rangs des ennemis que je récuse, et qui de l’autre me faites citer par mes clercs ? »

La première ambassade de Chrysostome avait déjà mis l’assemblée en effervescence ; quand la seconde arriva et que son chef eut répété textuellement les paroles dont il était porteur, il y eut une explosion de fureur véritable, et la chambre d’un concile se transforma subitement en une caverne d’assassins. On vit des évêques quitter leurs siéges pour se jeter sur les envoyés, tandis que d’autres les injuriaient ou les menaçaient. Un d’entre eux fut violemment frappé, un second eut ses vêtemens mis en lambeaux ; le troisième, saisi comme un prisonnier, reçut à son col la chaîne qu’on avait préparée pour Chrysostome, si l’archevêque avait eu l’imprudence de comparaître, et le malheureux, traîné en cet état hors de l’église du Chêne et jeté dans une barque, fut abandonné à l’aventure dans le courant du détroit.

Après une pareille scène, le concile fut longtemps à retrouver le calme, et d’hostile qu’il était à l’archevêque il devint son ennemi acharné. Deux nouvelles citations lui furent encore adressées, et deux fois encore il opposa le même refus, accompagné des mêmes réserves. Le notaire impérial n’avait plus reparu à l’archevêché malgré les réclamations adressées du Chêne à l’empereur, et l’on pouvait croire qu’Arcadius fléchissait sous le poids des scrupules. Théophile pensa qu’il fallait stimuler cet esprit indécis et timide, et, craignant que le premier libelle d’accusation n’eût nui à la cause en insérant parmi des crimes bon nombre de puérilités indignes d’attirer le blâme sur un lecteur ou un portier, il résolut de noircir tellement le côté criminel par de nouveaux chefs d’accusations que l’empereur serait enfin obligé de prendre un parti. Il provoqua à cet effet des libelles supplémentaires du moine Isaac, qu’on avait fait évêque pour prix de son ambassade, et de quelques autres appartenant comme lui au clergé métropolitain. Le libelle de l’archidiacre Jean n’avait fait qu’effleurer les faits de lèse-majesté ; on les mit ici en relief, on accusa formellement l’archevêque d’avoir dans des discours publics traité outrageusement l’impératrice sous