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les astronomes devant la grande pyramide.[1]

De tout temps, on s’est défié de l’ingérence des sciences exactes dans la critique historique ; il convient d’avouer que l’on en a quelque raison, car la certitude mathématique s’appuie sur des bases et emprunte des procédés de raisonnement qui sont un cadre trop étroit pour les événemens du passé les plus vraisemblables, les moins contestés. Toutefois il est permis de se plaire en des spéculations scientifiques qui tentent d’expliquer les témoignages indécis de l’antiquité. C’est à ce titre qu’on peut juger dignes d’attention les recherches d’un astronome écossais, M. Piazzi Smith, sur l’origine et le but des pyramides, curieux monumens qui sont restés le plus indéchiffrable des hiéroglyphes de l’archéologie égyptienne.

Parmi les nombreuses pyramides qui se dressent encore dans la vallée du Nil, la plus haute et la plus parfaite comme construction est celle que l’on a coutume de désigner sous le nom de la grande pyramide de Djizeh, et qui se distingue des autres par des caractères spéciaux. Elle est, paraît-il, la plus ancienne ; le pharaon Chafra ou Chephren, qui la fit édifier, appartenait à la deuxième dynastie et vivait, affirme-t-on, il y a quarante ou soixante siècles. La maçonnerie en a été taillée avec tant d’art et de scrupule que l’on ne distingue encore qu’avec peine, à l’intérieur des étroits couloirs qui la traversent, les joints des blocs immenses dont elle est composée. Le granit et le calcaire s’y superposent dans un ordre en apparence étudié ; cette association de matériaux divers n’aurait-elle pas un sens énigmatique qui nous échappe ? Enfin cette grande pyramide est percée de galeries inclinées ou horizontales, de chambres, de cavités obscures où certaines combinaisons semblent avoir été recherchées avec un soin tout particulier. Certes ce n’est pas un amas informe, ainsi qu’on l’a cru longtemps. Des mesures exactes ont fait reconnaître d’exactes proportions, des rapports de grandeur simples et uniformes ; en somme, ces moellons, malgré ce que le premier aspect a de lourd et de massif, ont un sens mystérieux, réel ou emblématique, dont il est irritant de ne pas découvrir la clé. C’est d’ailleurs le plus colossal et le plus solide édifice que des hommes aient jamais dressé, si bien que d’innombrables périodes d’années ont passé sur lui sans en altérer sensiblement la forme et la structure. Les entreprises humaines, pas plus que les intempéries des saisons, n’ont pu faire autre chose qu’en égratigner la surface.

Les archéologues, se bornant à envisager du point de vue qui leur

  1. Life and work at the Great Pyramid, by C. Piazzi Smith ; Edinburgh 1867, 3 vol. in-8°.