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a fait par-dessus tout, c’est un grand catéchisme sanctionné naturellement par le saint synode et universellement adopté ou imposé dans tous les établissemens d’éducation. C’est dans ce livre que depuis trente ans tout Russe est tenu de puiser son instruction morale et religieuse, je parle de l’instruction officielle. Quant aux sermons, aux homélies de Mgr  Philarète, ils sont sans nombre, et le traducteur, guidé, à ce qu’il semble, par le prélat russe lui-même, en a choisi plus de cent cinquante qui restent comme le spécimen de la littérature sacrée en Russie et du talent particulier du métropolite de Moscou. Ces sermons sont de toute sorte d’ailleurs ; ils ont été prononcés soit à l’occasion des fêtes de l’église, soit à l’occasion de tous les anniversaires impériaux. Rien n’y manque, anniversaires de la naissance du tsar, anniversaires du couronnement du tsar, sermons pour l’empereur Nicolas, sermons pour l’empereur Alexandre, allocutions pour le tsarévitch, etc.

Il y a sans nul doute dans ces discours, à travers une monotonie inévitable, de l’abondance, de la richesse, et Mgr  Philarète n’est point évidemment un orateur vulgaire. Malheureusement, sauf en ce qui est purement ecclésiastique, c’est toujours le prêtre serviteur de César, le théoricien du droit divin de l’autocratie avec toutes ses conséquences, et on se souvient involontairement que ce prédicateur chrétien, il y a peu d’années encore, se faisait le défenseur des peines corporelles. Pour Mgr  Philarète, on le comprend, l’obéissance absolue est le premier des devoirs ; il ne suffit pas de s’abstenir de murmurer et de fronder, il faut porter au pouvoir du « très pieux empereur orthodoxe » l’adhésion active et spontanée de l’âme. Le tsar est tout, et, si ce n’est Dieu lui-même, du moins l’oint de Dieu devant lequel il faut se prosterner. « Vous êtes vous-mêmes, dit-il à ses fidèles, témoins de temps en temps du respect avec lequel notre très pieux souverain empereur se tient devant le Seigneur dans le temple. Comme il regarde invariablement vers l’autel ! comme il suit attentivement les prières pour ce qui lui est cher et les accompagne du signe de la croix ! comme il s’incline humblement devant la sainteté ! » Le « très pieux souverain empereur » fait bien des choses ; mais, comme il est le chef de la religion, je ne vois pas comment le prélat ferait pour ne pas dire toutes ces choses et bien d’autres qu’il a justement la mission d’enseigner au peuple russe. Mgr  Philarète, pour des talens de prédicateur qui sont visibles et pour des vertus privées que je ne songe nullement à contester, Mgr  Philarète peut donc être, si l’on veut, un type exceptionnel et plus présentable dans cette église officielle ; après tout, il ne fait encore que rendre plus sensible le rôle abaissé de cette église qui dans son ensemble, aux degrés divers de la hiérarchie, par une fatalité de sa condition, ne justifie que trop ce qu’en ont dit bien des Russes eux-mêmes, ce qu’écrivait le prince Dolgoroukof il y a quelques années. « Les prélats russes, disait-il, se trouvent sous la dépendance complète