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laquelle la loi civile s’arme de toutes les rigueurs, et dans la religion même l’autocratie trouve la justification de toutes ses violences, de ses persécutions, de ses audacieuses tentatives de conversion par la force et par la ruse. C’est une sorte d’islamisme chrétien disputant l’Orient à l’islamisme turc en même temps qu’il menace l’Europe par la masse armée dont il dispose. De là, pour une politique dont toutes les entreprises, même les plus iniques, prennent immédiatement une couleur religieuse, une force d’action qu’il ne faudrait pas pourtant exagérer, qui est peut-être après tout plus apparente que réelle ; de là aussi d’un autre côté le singulier appauvrissement moral de ce clergé russe, réduit à une humiliante servitude, devenu un simple instrument de règne, énervé dans la misère de sa condition abaissée.

Cette vie religieuse, avec ses caractères et ses mœurs, avec ses misères intimes et ses incohérences, serait certainement un des côtés les plus curieux à observer de près, à étudier dans cette masse immense et confuse qui s’appelle l’empire des tsars, et nul ne serait mieux fait pour représenter l’église officielle moscovite que ce prélat dont un homme qui a longtemps vécu en Russie, M. Serpinet, a mis récemment au jour les sermons et les discours, Mgr  Philarète, aujourd’hui métropolite de Moscou. Sans vouloir traiter légèrement un si grave personnage, on pourrait dire que c’est la fleur de l’église orthodoxe. Par son talent, Mgr  Philarète est un des rares modèles de l’éloquence sacrée en Russie ; par son âge, par le respect qu’il inspire à ses compatriotes, c’est un des saints vivans de l’empire, une sorte de patriarche moins l’indépendance. Mgr  Philarète a maintenant quelque chose comme quatre-vingt-cinq ans, et il porte, à ce qu’il paraît, sa vieillesse avec aisance. Le portrait que donne de lui M. Serpinet n’est pas précisément d’un apôtre ; mais il déploie avec un assez grand air sa barbe blanche et ses décorations. Le commencement de sa carrière ecclésiastique remonte à 1810, et les deux premiers sermons par lesquels il se signala furent une oraison funèbre du prince Koutousof et un discours sur les événemens de 1812. Depuis lors il a parcouru tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique. Il a été successivement archimandrite, évêque de Revel, archevêque de Tver et de Jaroslav, puis enfin archevêque de Moscou, et c’est à l’époque du couronnement de l’empereur Nicolas, en 1826, qu’il fut élevé à l’éminente dignité de métropolite. Il occupe ainsi ce siége, le premier de l’église russe, depuis plus de quarante ans, et il est de plus membre du saint synode, membre de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, membre honoraire de l’université de Moscou, etc. Mgr  Philarète a du reste écrit dans sa longue carrière un certain nombre d’ouvrages d’histoire religieuse et de controverse, les Entretiens entre un sceptique et un croyant sur l’église gréco-russe orthodoxe, des commentaires sur les psaumes, une Esquisse de l’histoire ecclésiastico-biblique, des notes sur le livre de la Genèse ; mais ce qu’il