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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


vieil évêque, en présence de toute la ville, entamerait l’historique de son long voyage ; il en exposerait les causes et l’insuccès, il dirait quels efforts infructueux Théophile et lui avaient tentés pour démontrer par lettres à l’archevêque qu’il marchait et conduisait son peuple dans une voie de perdition, et comment, emporté par la charité, lui-même, Épiphane, malgré son grand âge, avait bravé les périls de la mer pour essayer sur ce prélat opiniâtre l’autorité de sa parole. Alors viendraient le récit de l’excommunication des Longs-Frères et du synode d’Alexandrie, celui du synode de Salamine où Origène et les origénistes avaient été anathématisés, puis les refus arrogans du métropolitain devant des injonctions verbales réitérées. La conclusion du discours devait être la déposition solennelle de Chrysostome pour l’honneur de Dieu et le salut des fidèles de Constantinople, s’il ne reconnaissait à l’instant sa faute et ne promettait de faire pénitence.

Telle était la conspiration tramée pour frapper l’archevêque au milieu de son troupeau. Une fois le dessein formé, on se mit en mesure d’en assurer le triomphe en se composant un auditoire favorable ; mais la chose fut ébruitée dans la ville. Elle parvint alors aux oreilles de Chrysostome, qui d’un coup d’œil sonda le péril et s’écria, dit-on, avec indignation en parlant d’Épiphane : « Il faut que cet homme soit fou ou démoniaque pour oser de pareilles choses !… » Et il donna l’ordre à son diacre Sérapion de l’empêcher d’entrer dans la basilique. Le jour de la collecte venu, et comme la foule curieuse accourait de toutes parts, Sérapion se plaça sur le seuil de la porte pour guetter l’arrivée d’Épiphane, qui ne tarda point à paraître en effet, escorté de quelques amis. Sérapion l’arrêta tout court. « Évêque, lui dit-il, voici ce que mon évêque à moi et l’évêque de ce lieu m’a chargé de te signifier. Tu te permets dans son domaine ecclésiastique bien des choses contraires aux canons. D’abord tu vas dans une de ses églises faire une ordination sans son aveu, puis tu viens t’emparer d’une autre pour y officier malgré lui. Tu te conduis comme si tu étais son évêque, et comme si lui n’était rien devant toi. Eh bien ! il veut que cela cesse, et, si tu persistes, il fait retomber sur ta tête la responsabilité des désordres qui peuvent éclater aujourd’hui. » Épiphane ne s’attendait pas à cet acte de fermeté. Il ne trouva pour réponse immédiate que des invectives contre le diacre et des accusations contre l’archevêque ; mais bientôt, réfléchissant qu’il commettait en réalité une faute grave contre les devoirs ecclésiastiques et sentant qu’il avait tort, il tourna le dos et rentra précipitamment dans sa maison. Ce premier moment de réflexion fut suivi d’un examen sincère de sa conduite depuis son arrivée, et il vit l’abîme où on l’entraînait en abusant de sa passion pour les causes théologiques. Ces luttes