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des récriminations sérieuses, bien différent en cela de certains de nos contemporains. Il ne connaissait pas la jalousie. Ceux qui lui demandaient conseil ou service étaient sûrs de recevoir une réponse. Un jour un jeune débutant le pria de lui dire le secret de son constant succès. « Mon secret, répliqua Faraday, est bien simple. Il est dans ces trois mots : travailler, achever, publier (work, finish, publish). »

Un fait assez caractéristique et qui montre la tournure pratique de son esprit a été perpétué par une caricature du Punch, qui avait pour légende : Faraday presenting his card to father Thames (Faraday envoyant sa carte à la Tamise). Pendant une promenade qu’il fit sur un des bateaux à vapeur qui sillonnent le fleuve, il fut frappé de la couleur noire de ces eaux qui charrient sans cesse les immondices de tout Londres. Pour en connaître approximativement le degré d’opacité, il se fit donner des morceaux de carton qu’il fit descendre au bout d’un fil et dont il observa la disparition. La profondeur à laquelle ils cessaient d’être visibles lui donna la mesure de l’impureté du liquide ; il paraît que le résultat de cette étude improvisée fut tout à fait concluant, car Faraday en fit le sujet d’une lettre qu’il écrivit au Times, et qui contribua beaucoup plus à appeler l’attention des autorités compétentes sur une des plaies de Londres que tous les rapports qui avaient été rédigés par une foule de commissions.

Depuis 1858, la reine lui avait attribué des appartemens dans le palais d’Hampton-Court, et l’on vit alors le vénérable vieillard aller et venir entre, sa nouvelle résidence et son vieux logis d’Albemarle-Street. En 1861 cependant, il quitta définitivement l’Institution royale, où il ne reparut plus que comme simple auditeur. Ses travaux incessans avaient fini par miner une santé primitivement robuste. Il souffrait souvent de violentes migraines, et la perte de sa mémoire commençait à l’affecter d’autant plus péniblement que son intelligence était restée vive et intacte. Une de ses dernières séries de conférences, l’Histoire chimique d’une chandelle, qui a été traduite en français, est encore un modèle de clarté et d’élégance, il sentait toutefois que le temps était venu pour lui de renoncer à une tâche devenue trop lourde et de céder la place à de plus jeunes que lui. A la fin de sa dernière leçon « sur le platine, » le 22 février 1861, il adressa un adieu touchant à son auditoire. « L’affaiblissement graduel de ma mémoire et de mes autres facultés, disait-il, se manifeste à moi d’une manière pénible, et il m’a fallu le souvenir de votre bienveillance pour accomplir ma tâche jusqu’au bout. S’il m’arrive de parler trop longtemps, ou de manquer à ce que vous attendez de moi, n’oubliez pas que c’est vous qui avez voulu me retenir à mon poste. — J’ai désiré me retirer de l’arène, ainsi que doit le faire tout homme dont les facultés baissent ; mais j’avoue que l’affection que j’ai pour cette salle et pour ceux qui la fréquentent est telle que j’ai de la peine à me dire que